ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Christian BURGUET - Bridgeur n° 771 - Mars 2004

Reponses a vos questions


Christian Burguet, arbitre fédéral
 


 

Christian Burguet reçoit de nombreux courriers traitant du plus délicat d sujets d'arbitrage, l'hésitation. En s'inspirant d'exemples vécus, il répond à vos questions.

Que ce soit directement ou, plus souvent, par l'intermédiaire de Bridgerama et du Bridgeur, les questions que vous m'envoyez portent essentiellement sur deux grands thèmes.

Le premier (environ 40%) que j'appellerai droit à l'imagination et limite de ce droit :
  • Le psychique, qui vous hérisse souvent.
  • Les enchères fantaisistes plus ou moins comprises par le partenaire.
  • Toute tromperie, qu'elle soit ou non volontaire.


  • C'est pour cela que j'ai écrit "Psychiques, ruses et fantantaisies" et vous trouverez dans ce livre toutes les réponses à vos questions dans ce domaine.

    Le deuxième (encore près (le 40%) concerne tout ce qui tourne autour de l'alerte. Bien que déjà plusieurs fois évoqué (lire en particulier les articles du Bridgeur : Christian Burguet en juin 2001 et Philippe Lormant en novembre 2002), ce sujet entraîne toujours questions et polémique : nous le reverrons sûrement.
    Parmi les sujets restants, l'hésitation est en bonne place (environ 10 %).

    Voici la réponse à des courriers sur ces trois thèmes. Cependant... ce n'est pas mon rôle et ce n'est pas le but de cette rubrique de juger vos arbitres. Aussi, tous vos courriers ont été réécrits et adaptés à mes personnages (sans pour autant modifier la moindre carte ni la moindre annonce). Ceci me permet d'ailleurs de leur donner plus facilement un caractère général et d'essayer d'intéresser ainsi tous nos lecteurs.

    1er cas : suis-je un «Roublard" ?

    Adapté d'un courrier de Pierre et Brigitte Delacoste, 33130 Bègles.

    Monsieur Lefranc n'est pas encore un champion mais il est en principe sérieux et commence à bien maîtriser les enchères. Pourtant, dans un match par quatre, après un ce début d'annonces, il craque en Sud, avec 1 point d'honneurs :
    R V 9 6 3
    D 7
    3
    V 9 8 3 2
    7 5 4
    A
    R D 8 6 5 4
    R 6 4

    N

    O             E

    S

    A D 10 8 2
    R 4 2
    A V 9
    A D
    V 10 9 8 6 5 3
    10 7 2
    10 7 5
    ENCHERES
    SUDOUEST NORDEST
      1 Passe 1
    2 . . .  
    La suite des annonces ? Cela n'a pas vraiment d'importance. Est-Ouest atterrissent à 6 Piques, contré par Nord pour moins trois, 800, qui s'ajoutent aux 1470 des associés qui réussissent 6 Sans-Atout plus un ! Arbitre ! Que décidera-t-il ?
    A. Ici, ce n'est pas l'annonce de Sud qui est responsable du désastre mais, si cela avait été le cas, il aurait corrigé le coup.
    B. Non, Sud a le droit d'annoncer ce qu'il veut (à moins d'une compréhension anormale de sa partenaire) l'arbitre maintiendra le mauvais coup adverse, même si l'annonce fantaisiste en était directement responsable.
    C. Au contraire ! On ne peut pas faire n'importe quoi au bridge sinon cela devient injouable. L'arbitre infligera dans tous les cas une sanction aux Nord-Sud.

    2ème cas : Michaël a encore frappé

    Adapté d'un courrier de Monsieur Roger Franc, Boulogne.

    En principe, les Lefranc maîtrisent à peu près leur système mais s'il y a un sujet qui provoque des pataquès (et à bien d'autres paires), c'est tout ce qui tourne autour des bicolores et, en particulier, les Michaëls' cue-bids. Que doit-il se passer après ce début d'enchères ?
     
    SUDLefranc NORDEST
    1 2 * Passe 3
    Passe 2  
    *2 (bicolore majeur) n'a pas été alerté.

    Qu'en pensez-vous (attention, pour une fois il peut y avoir une, deux, trois... ou zéro réponse exacte) ?
    A. L'arbitre, aussitôt appelé par Nord-Sud, doit-il interdire à Ouest de dire 3 ?
    B. Ouest doit-il, dès maintenant, prévenir l'adversaire de la "négligence" de son partenaire qui a oublié d'alerter (son 3 demandant de choisir une majeure) ?
    C. Est ne doit-il pas confirmer l'explication de son partenaire et peut-il dire 4 avec un beau jeu et trois cartes a Coeur?

    3ème cas : Kibbîtz... ou Lange gardien ? Hésitation.

    Question de M" Lange (Nîmes), qui n'était que témoin de cet incident, mais que ce cas a intéressée.

    Décidément (voir question 1), Lefranc n'est pas toujours très sérieux dans ses interventions (quoique celle-ci soit moins surprenante ... mais il est vulnérable !).
    A 9 6 4 3 2
    V 6
    A 7
    A 8 3
    8
    R 3 2
    R 10 9 6 5 3
    D 10 9

    N

    O             E

    S

    R V
    A D 10 9
    D 4
    V 7 6 3 2
    D 10 7 5
    8 7 5 4
    V 8 2
    R 4
    ENCHERES
    SUDLefranc NORDEST
      Passe 1 Passe
    2 3 3 Contre*
    Passe
    4 Contre*  

    *Avant de contrer, Est a hésité, ce qui rend l'enchère de 4 douteuse... en tout cas selon Nord-Sud. Ouest joue donc 4 Carreaux contré et ... gagne sur un flanc défaillant ! Arbitre ! Que doit-il inscrire ? 4 Carreaux contré égal pour Est-Ouest ? 3 Piques contré égal pour Nord-Sud ? Ou autre chose ?

    Mes réponses

    1er cas : suis-je un «Roublard" ?

    Est-on un "Roublard", un imaginatif, un audacieux ou un "blaireau" parce que l'on dit 2 avec cette main ? En tant qu'arbitre, je n'ai pas à me prononcer : la conscience de Lefranc ne doit pas le torturer. Si l'annonce est surprenante et sans doute (en principe) d'une efficacité douteuse, en revanche, sur le plan légal, il a parfaitement le droit de la produire, (le même qu'il avait le droit avec cette main, n'en déplaise à certains, même si c'est complètement absurde, de dire 2 , 2 , ou... 3 !
    « Un joueur peut faire n'importe quelle déclaration ... y compris un psychique... à condition que cette déclaration... ne soit pas fondée sur une entente entre partenaires (loi 40 A - extrait) » (étant entendu que ce sont les ententes secrètes qui sont interdites et non bien sûr les conventions usuelles ou alertées). Il n'y a aucune honte, du moins sur le plan légal, à faire cette annonce et la seule personne à qui monsieur Lefranc a des comptes à rendre est... sa partenaire, Mme Lefranc. C'est donc la réponse B qui est exacte (pour plus d'information, lire le livre cité plus haut).

    2ème cas : Michaël a encore frappé

    Surprenante question, il doit _v avoir un détail dans la lettre que je n'ai pas : comment se fait-il que Nord-Sud appellent l'arbitre lorsqu'Ouest annonce 3 ?
  • N'est-ce pas parce qu'il y a eu une grave infraction vis-à-vis du point B (voir ci-dessous) ?

  • Auquel cas, ils ont raison!
  • Dans le cas contraire, c'est qu'ils ont parfaitement compris l'annonce de 2 et je ne vois pas comment ils peuvent se prétendre lésés.

    A. L'arbitre peut-il retirer l'annonce de 3 ?

    Certainement pas, ce n'est pas comme ça que cela se passe (voir Le Bridgeur de novembre et décembre 2003, Loi 16A, première et deuxième parties).

    B. et C. : Est doit-il indiquer l'absence d'alerte ? Ouest doit-il confirmer l'explication de son partenaire ?

    Certainement pas ! Ils n'ont strictement rien a dire pendant le courant des annonces, agir autrement serait une faute grave qui devrait avoir de lourdes conséquences après intervention de l'arbitre.

    C. Est a-t-il le droit de dire 4 avec trois cartes à coeur et un beau jeu ?

  • a. Oui, bien sûr, si Ouest a gardé une tenue de table irréprochable.

  • S'il joue 4 Coeurs (mais pas s'il se trouve en défense), Ouest attirera l'attention de l'adversaire aussitôt après le passe final sur le défaut d'alerte et se dira prêt à toute explication sur les enchères, ainsi :
    - L'adversaire ne pourra plus prétendre être lésé "à la carte".
    - Par contre, il pourra appeler l'arbitre s'il estime que l'absence d'alerte l'a trompé et l'a lésé pendant la période des annonces (c'est possible, mais assez peu probable ici).
    - Aucune autre sanction : Est-Ouest se sont compris, ont oublié d'alerter, mais cette compréhension n'a aucun caractère irrégulier.
  • b. Et si Lefranc a attiré l'attention sur l'absence d'alerte ?

  • Il a toujours le droit de dire 4 (contrairement à ce que vous affirment certains joueurs) ! Mais, dans ce cas, l'arbitre interviendra et il est possible que le coup soit ultérieurement rectifié, sans ménagement pour Est-Ouest, gravement fautifs.

    Exemple, main d'Est:
    A V 7
    V 4 2
    R D 10
    5 4 3 2
    Si Ouest n'a rien dit, Est a le droit de passer, de dire 4 ou de faire toute autre enchère qui lui passe par la tête. Mais si Ouest a illégitimement indiqué l'absence d'alerte, qu'est-ce qui nous prouve que 3 n'était pas un soutien et qu'Est n'a pas été réveillé par l'explication de son partenaire ? Pour suivre cette logique, 3 doit alors être pris pour une enchère naturelle ou semi-naturelle, à la recherche de 3 Sans-Atout, de 4 ou de 5 . L'annonce normale d'Est est maintenant 3 (valeurs à Pique), la suite pouvant conduire à un joli pataquès qu'analysera l'arbitre.

    En résumé, n'essayez jamais de corriger les absences d'alerte ou les mauvaises explications au cours des enchères. Si vous vous taisez, vous pouvez peut-être vous en sortir quand l'adversaire n'est pas lésé (c'est d'autant plus défendable ici que 2 a vraisemblablement été compris par tout le monde), alors que si vous réagissez illégitimement, vous serez presque automatiquement sanctionné.

    3ème cas : Kibbitz... ou Lange gardien ? Hésitation.

    Ce troisième courrier est beaucoup plus délicat, comme souvent en matière d'hésitation. Je vous donnerai mon avis, toutefois, d'autres arbitres pourraient, tout à fait légitimement, ne pas être d'accord.

    La première tentation, après l'hésitation, est de considérer que si Est n'a pas pris rapidement sa décision, c'est qu'elle n'était pas évidente. Dans ce cas, à cause de cette hésitation, Ouest panique, n'assume pas son intervention, et "dégage" à 4 . Pourtant... Est pouvait-il avoir une décision évidente à prendre ? D'après les enchères, il doit détenir 12 ou 13H, guère plus. S'il est maximum (c'est le cas ici) et qu'il sait compter, il doit en déduire que son partenaire a fait une intervention faible, à base d'une longueur à Carreau et d'une distribution (singleton Pique).
  • 1) Il n'a pas les Piques, mais contre au poids

  • On comprend qu'il ait hésité, mais ça ne prouve rien, d'autant que 3 Piques peut quand même chuter. Exemple, en complément du jeu d'Ouest:
    4 3 2
    A D 8 7
    A 4
    R 8 7 6
    3 Piques contré devrait chuter, souvent de deux. Pourtant, le contre n'est pas évident : avec le Roi de Cœur en Sud, l'adversaire pourrait gagner, même si Ouest a l'As de Trèfle à la place.
  • 2) Il a les Piques et toujours 12-13H

  • Dans ce cas, l'hésitation est toujours légitime, exemple :
    R 10 8 7
    A 6
    A 8 7 4 2
    V 6
    ou encore
    D 10 9 4
    A D 8 7 6
    A V
    8 7
    ou même (très improbable, ceci impliquant que Nord ait dit 3 4 avec une Dame cinquième et 12/13H!)
    A R V 2
    8 7 6
    A 7 4
    V 3 2
    Dans ces trois exemples, même si le contre semble plus évident, n'est-il pas normal d'envisager le contrat de 3 SansAtout, qui a ses chances ? (Dans chacune de ces mains, comme vous pouvez le vérifier avec le jeu d'Est, 3 Piques peut gagner en Nord-Sud et 3 Sans-Atout en Est-Ouest). Dans ce cas, Est est bien obligé de compter les levées potentielles à Sans-Atout, les levées de chute envisagées... tout cela n'est pas instantané.
    Bref, il n'y a pratiquement pas de cas, même si Est est d'un bon niveau (ce que je ne sais pas), où le contre est évident.

    Sans approuver Ouest (Est a contré - même si c'est à tort - en toute connaissance de cause : lui aussi devrait connaître le jeu de son partenaire, alors pourquoi ne pas lui faire confiance ?), je peux néanmoins comprendre sa décision : ne se comptant aucune levée de défense, il panique et retire le contre. Pourtant, qu'il y ait ou non hésitation ne change rien : de toute manière, à 1 ou 2 points près, il connaît la main d'Est, il sait que les jeux sont pratiquement 20-20 avec un beau fit adverse et les Piques, même mal répartis, sont clairement situés en Est. Il y a quand même de quoi être inquiet. Même si c'est secondaire, remarquons enfin que, si Nord-Sud ont réellement été frustrés de leur 3 Piques contré (730), ils devaient au moins sauver 200 sans aucune difficulté et 500 sur un flanc parfait.

    Considérant donc que l'hésitation avant contre ne donnait pas d'indication plus précise que ce que tout le monde sait à la table, j'aurais maintenu 4 Carreaux contré égal.

    Certains restent résolument d'un avis contraire ? Cela n'a as vraiment d'importance. Si j'ai décidé de répondre à c courrier dans le Bridgeur, ce n'est pas pour imposer mon point de vue, c'est pour montrer la difficulté de certains litiges : tout n'est pas aussi simple et automatique que l'arbitrage d'une renonce, d'une entame hors tour ou d'une enchère insuffisante. La rectification après une hésitation doit souvent être mûrement réfléchie L'hésitation a-t-elle vraiment transmis un message ? La décision du partenaire "aurait-elle pu incontestabletent" (loi 16A) avoir été influencée par cette hésitation ? Ce n'est pas toujours évident et il n'est pas rare de voir des arbitres de très haut niveau demander à réfléchir un bon moment avant de prendre leur décision.

    Notons en conclusion que si l'arbitrage de l'hésitation est l'un des plus difficiles, il crée une certaine injustice entre les joueurs, selon leur niveau : dans certaines situations, de bons joueurs qui se connaissent bien donnent bien plus d'informations à leur partenaire en hésitant quelques courtes secondes (et même parfois à la carte, une seule seconde) qu'un joueur modeste qui attendrait une demi-minute. Et pourtant, qui envisagerait d'appeler l'arbitre pour une hésitation de moins de 5 secondes ? Lire à ce sujet les articles Arbitrage de Bridgerama, début 2003 et les articles Loi 16A (1 et 2) du Bridgeur.