ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Christian BURGUET - Bridgeur n° 764 - Août 2003

Le Bridge Loi par Loi : Loi 61B


Christian Burguet, arbitre fédéral
 


« Rodrigue, as-tu du coeur ? »

Mon partenaire ne fournit pas de la couleur, pourtant je crois qu'il en a. Question : Ai-je le droit de l'interroger ?
 

Cette question est très importante et il faut parfaitement connaître la réponse si l'on veut éviter des pénalités qui pourraient paraître disproportionnées.

I. Chipie contre Vautour

Vautour est assis en Nord et Chipie en Est.
D
D V 10 9 8 2
V 6 4 3
R V
10 7 6 5 4
R 7
A 7
7 6 5 4

N

O             E

S

9 8
4 3
R D 10 8 2
A 9 8 2
A R V 3 2
A 6 5
9 5
D 10 3
En Nord, Vautour joue le contrat de 4 et Chipie entame du Roi de .
Imaginez quel devrait être le résultat normal... (voir III A)
Il se passe alors un incident dont les conséquences vont mettre Chipie dans une grande fureur : à la première levée, Malicia, en Ouest, perdue dans ses pensées et contemplant avec satisfaction son Roi placé, joue cette carte par erreur ! Avant qu'elle n'ait le temps de réagir, Chipie s'exclame: « Tu n'as pas de Carreau ?! ». Malicia corrige précipitamment et joue l'As Trop tard, Vautour appelle l'arbitre!
Imaginez maintenant quel va être le résultat de donne ... (voir III B)
Si vous trouvez, vous êtes arbitre ! Ou du moins, vous avez une excellente connaissance du règlement, car ce n'est pas évident. Si vous n'êtes pas sûr, lisez ci-dessous le II-1. Ensuite, il vous faudra encore être très perspicace.

II. Les droits des joueurs

Si l'on a de bonnes raisons de croire que le partenaire est, en train de faire une renonce, a-t-on le droit d'essayer de l'éviter?

1. Question posée en flanc

C'est clair, en flanc, cette question est interdite (Loi 61B). S'il y a vraiment une renonce, la sanction est si sévère qu'elle conduira presque fatalement au zéro (à moins que l'adversaire n'ait oublié une manche évidente)
  • Tout d'abord, la renonce doit être immédiatement corrigée: vous ne pourrez pas en profiter (Loi 63B).
  • Pourtant, vous la payez quand même, selon les dispositions de la Loi 64, et elle pourra vous coûter une ou deux levées.
  • Enfin, la carte jouée par erreur est pénalisée (Loi 50). Ceci peut coûter encore une levée, parfois plus.
  • 2. Question posée par le mort

    Le mort a quelques droits, d'ailleurs assez limités (Loi 42). S'assurer que le déclarant ne commet pas une renonce fait partie de ces droits (Loi 42 B1) : « Raymond ! Tu n'as pas de Coeur ? » (tout le monde ne s'appelle pas Rodrigue) est donc une question tout à fait licite et le déclarant pourra rectifier sans pénalité. Encore faut-il que le mort n'ait pas perdu ses droits.

    3. Question posée par un mort... déchu de ses droits (Loi 43 A2)

    « Le mort n'est pas autorisé:
    a) À échanger les mains avec le déclarant.
    b) À quitter sa place pour regarder le déclarant jouer.
    c) À regarder, de sa propre initiative, le jeu d'un joueur de la défense. »

    Certains joueurs considèrent que cela n'est pas bien grave. Pourtant, les conséquences ne sont pas neutres (Loi 43) puisque le fautif, outre le risque d'une pénalité de procédure (Loi 90), perd tous ses droits "sous condition" prévus par la Loi 42 B. Si, après avoir regardé certains autres jeux (à moins qu'il y ait été invité par l'adversaire), le mort empêche son partenaire de commettre une renonce, le déclarant devra effectivement corriger, mais il paiera cette renonce comme si elle avait été consommée (Loi 43B 2b), identiquement à une renonce en flanc. La seule différence est qu'il n'y a jamais de carte pénalisée chez le déclarant.
    Qu'importe, avec une à deux levées perdues bêtement, il est probable que le résultat sera désastreux.

    4. Et le déclarant ?

    Le déclarant est autorisé à poser la question à un joueur de flanc. En club, poser cette question plutôt que de laisser consommer une renonce évidente, c'est faire preuve d'un fair-play qui me semble tout à fait normal (mais, c'est vrai, rien ne vous y oblige).
    Un joueur de flanc est autorisé à poser la question au déclarant. En revanche, dans ce cas, sauf s'il s'agit de débutants, votre conscience n'a pas à vous travailler : c'est le rôle du mort.

    III. Le cas d'aujourd'hui

    D
    D V 10 9 8 2
    V 6 4 3
    R V
    10 7 6 5 4
    R 7
    A 7
    7 6 5 4

    N

    O             E

    S

    9 8
    4 3
    R D 10 8 2
    A 9 8 2
    A R V 3 2
    A 6 5
    9 5
    D 10 3

    A. Résultat normal

    Le contrat est condamné à une de chute, et encore faut-il ne pas se tromper : Roi de Carreau pris de l'As et retour Carreau. Troisième tour de Carreau coupé de l'As d'atout et As-Roi de Pique pour enlever le dernier Carreau de la main, avant de jouer atout. Toute autre ligne de jeu conduit à deux de chute.
  • Si l'on coupe petit : après avoir surcoupé, Ouest retrouve sa partenaire à Trèfle et, sur le quatrième Carreau, fait son Roi d'atout en promotion.
  • Si, après l'As de Coeur, Vautour défausse ses Trèfles sur As-Roi-Valet de Pique, ce n'est pas mieux, Chipie coupe le troisième Pique et Ouest fera toujours ses deux atouts.

    B. Résultat après la renonce

    Nord joue 4 Coeurs sur l'entame du Roi de Carreau. Malicia par étourderie, fait une renonce et sa partenaire pose la question interdite. La renonce doit être corrigée, l'arbitre laissera donc jouer l'As de Carreau.
    Que va-t-il se passer cette fois ?
    Malicia est maintenant obligée de jouer son Roi de Coeur (pénalisé), pour le 8 du déclarant et l'As du mort.
    Nord remonte à la Dame d'atout, retirant ainsi les derniers atouts adverses. Il débloque la Dame de Pique, joue le 2 de Coeur pour le 5 du mort et défausse trois Carreaux sur As-Roi-Valet de Pique, ne perdant ainsi que les deux As mineurs: 4 Coeurs plus un... et ce n'est pas tout !
    Bien qu'elle n'ait pas bénéficié de la renonce, Malicia la paye : elle était censée être consommée au premier pli, avant que le flanc n'ait fait la moindre levée.
    Elle la paye même au prix fort, l'As de Carreau ayant fait la levée : deux levées de transfert.
    Grand chelem, alors que presque tous ceux qui jouent 4 Coeurs chutent, souvent de deux, de quoi surprendre tous les joueurs suivants (surtout après l'entame du Roi de Carreau !).

    C'est vrai que c'est sévère, curieusement sévère, dans un code qui nous annonce dès le premier paragraphe que: « L'objet des Lois réside plus dans la réparation d'un dommage que dans la sanction d'une irrégularité ». Qu'importe, le code cherche à rétablir l'équité et, si parfois la justice n'y trouve pas exactement son compte, ce sera en tout cas mieux que de laisser se développer les mauvaises tenues de table.

    IV. Récapitulatif de la loi 61B

  • Le mort a le droit de poser cette question au déclarant (à condition d'avoir respecté le règlement - voir ci-dessus).
  • Le déclarant peut poser cette question à un joueur de flanc.
  • Un joueur de flanc peut poser cette question au déclarant.
  • Mais, un joueur de flanc n'a absolument pas le droit de poser cette question à son partenaire.
  • V. Conclusion

    La bonne connaissance du règlement n'est pas seulement le joujou des arbitres, c'est aussi un moyen :
  • d'éviter d'être pénalisé pour des fautes commises par ignorance.
  • de profiter au mieux de ses droits, pour optimiser ses résultats.