ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Michel MAITRE - Bridgeur n° 670 - 15 janvier 1995

Enchère faite ou non ? Carte jouée ou non ?


Michel Maître, arbitre national
 

En vérité, je me proposais de n'aborder qu'ultérieurement ces sujets, Philippe LORMANT les ayant traités en 1991 dans la rubrique " Sed Lex ". Je croyais donc les choses claires et établies dans ce domaine. Les nombreux courriers que vous m'avez adressés et les arbitrages pour lesquels je suis quotidiennement appelé montrent qu'il n'en est rien.
 

Avant d'étudier séparément les textes et lois qui concernent, d'une part les enchères et, d'autre part, le jeu de la carte, une généralité commune s'impose :

les textes et le code distinguent deux situations

  1. l'accident,
  2. le changement d'intention.

Lorsque vous souhaitez " reprendre " une enchère ou une carte, vous êtes obligatoirement dans l'un ou l'autre de ces deux cas (vous ne pouvez pas être dans l'un et l'autre à la fois).

Exemples :

  1. Vous voulez sortir le carton 1, votre prédécesseur à la table est un grand amateur de chewing-gum, cinq ou six cartons délicatement collés les uns aux autres atterrissent sur la table, il s'agit incontestablement d'un accident !
  2. Vous exécutez 3 SA en même temps qu'un sandwich de la main droite, votre adversaire entame Pique, pendant que votre tasse de café vous brûle la main gauche. Vous tentez raisonnablement de prendre l'entame du Roi de la même couleur...
    Couronnement de vos efforts... une demi-tranche de jambon et votre Valet de Carreau tombent gracieusement sur le tapis vert... tentative manquée. Bien que " votre tenue de table " (si j'ose dire) soit discutable il s'agit encore d'un accident !
  3. Vous avez cinq Trèfles et cinq Piques, vous sortez le carton 1, le posez sur la table, instantanément vous le reprenez et le remplacez par 1. Même si vous avez été très rapide, il ne s'agit pas d'un accident, votre carton 1 n'avait pas été pris par inadvertance... C'est un changement d'intention caractéristique !
  4. La levée en cours est la suivante : 7 de Coeur du déclarant, le 9 de votre partenaire, le 10 du mort, vous jouez une carte et horreur !!, vous avez fourni le 8, alors que vous déteniez Roi-Dame-8-x. Ce misérable 8 n'est pas tombé de votre jeu, vous l'avez vous-même posé sur la table, il a été vu... Malheureusement pour vous le code n'est pas là pour préparer vos erreurs. Vous avez fait une bêtise, une c... dira votre partenaire indigné, vous ne l'avez pas fait exprès, mais ce n'est pas un accident !

Si vous tentez, même rapidement de faire la levée en remplaçant ce 8 par la Dame, au regard du code c'est un changement d'intention.

Enchères faites ou non?

Nous ne parlerons pas, dans cet article, des enchères insuffisantes ou hors tour qui font l'objet de lois particulières du code mais d'enchères légales uniquement.

REGLEMENT DES EPREUVES
Article 57 3°) 4°) et 5°)

57 3°)
"Une déclaration est considérée comme FAITE dès que le carton a été INTENTIONNELLEMENT pris de la boîte et LÂCHÉ sur la table. Le joueur doit se décider avant de toucher un carton de la boîte. Une hésitation en touchant différentes déclarations est susceptible d'être pénalisée, comme une information illicite".
57 4°)
"Une déclaration peut être changée si elle n'a pas été LÂCHÉE SUR LA TABLE (donc non faite) mais il y a information illicite pour le partenaire et possibilité d'attribuer une marque ajustée".
57 5°)
"Une déclaration peut être changée sans pénalité, comme le permet la Loi 25 A, quand les deux conditions suivantes du code international sont réunies :
  1. le joueur a, par inadvertance, saisi une mauvaise déclaration, et
  2. le joueur corrige ou essaie de corriger sa déclaration SANS PAUSE pour réfléchir".

Un grand bravo aux rédacteurs du règlement des épreuves : ce texte est parfaitement clair et précis !
En résumé, tant qu'une déclaration n'est pas " faite ", vous pouvez la changer, mais attention à l'information illicite. Le seul cas où vous ne risquez vraiment rien est le cas " accident ! ". Encore faudra-t-il que vous corrigiez sans pause la déclaration saisie par inadvertance.

Nos conseils seront donc simples:

  1. Réfléchissez AVANT d'enchérir !
  2. Ne touchez pas et ne sortez pas plusieurs cartons.
  3. Ne soyez pas distrait et REGARDEZ le carton que vous avez l'intention de sortir.
  4. Dans le cas " accident ", réagissez vite.
  5. Ne changez pas d'intention.

Maintenant que nous avons vu quand une déclaration est " faite " ou non et comment changer une déclaration non faite, examinons le cas où vous changez une enchère " faite ".
Lorsqu'une enchère est " faite " au sens du règlement des épreuves, en changer s'appelle " Changement de déclaration " et ce cas est traité dans les Loi 21 et Loi 25 du code international.

Loi 21 - DECLARATION BASEE SUR UNE FAUSSE INFORMATION

Loi 21 B - DECLARATION BASEE SUR UN FAUX RENSEIGNEMENT DONNE PAR UN ADVERSAIRE

" Jusqu'à la fin de la période des annonces un joueur peut, SANS pénalité, changer une déclaration quand il est probable qu'il l'a faite à la suite d'un faux renseignement donné par un adversaire à condition que son partenaire n'ait pas fait de déclaration consécutive ".

Exemple :

1 SA - 2 * - 2

L'intervention à 2 vous a été expliquée comme Texas Carreau, vous dites 2 et, votre enchère étant " faite ", l'adversaire se souvient qu'en fait il s'agit d'un Landy. Votre partenaire n'ayant pas encore enchéri, vous pouvez sans pénalité reprendre et changer votre enchère.

En revanche, si la séquence est 1 SA - 2 * - 2 - passe - passe, votre partenaire ayant lui-même surenchéri, il est trop tard pour reprendre votre enchère de 2 . Dans ce cas, vous devez appeler l'arbitre et " faire des réserves ". Si le coup vous est défavorable vous maintiendrez celles-ci, arguant, par exemple, que vous n'auriez pas déclaré 2 dans quatre ou cinq cartes connues à Pique du flanc. Selon la Loi 21 B 3 " Trop tard pour changer de déclaration ", l'arbitre pourra attribuer une marque ajustée (en votre faveur).

Loi 21 B 2 - CHANGER DE DÉCLARATION A LA SUITE D'UNE CORRECTION D'UN ADVERSAIRE

" Quand un joueur choisit de changer une déclaration à cause d'un faux renseignement, son adversaire de gauche peut alors à son tour changer toute déclaration consécutive qu'il aurait pu faire, sans pénalité (à moins que cette déclaration retirée ne transmette une information importante risquant de désavantager le camp non fautif, auquel cas l'arbitre peut appliquer une marque ajustée) ".

Ce qui veut dire que, dans l'exemple initial, si vous décidez de ne plus dire 2 , mais contre ou passe, votre adversaire pourra reprendre son passe et nommer les Cœurs dans le bicolore connu de son partenaire.
Ces cas d'enchères " faites " et pouvant être reprises, autrefois rares, deviennent de plus en plus fréquents avec la prolifération des conventions et il est nécessaire que vous connaissiez vos droits en la matière. De toute façon, appelez l'arbitre au plus vite et évitez de donner au passage des informations illicites sur votre jeu, ce qui se retournerait contre vous. Ne dites pas, par exemple : " j'aurais fait ceci ou cela ", ou encore " avec ce que j'ai à Carreau évidemment... ".

Bien, supposons maintenant que vous ayez décidé d'ouvrir d'1 , votre enchère est faite, le carton est sur la table, il ne s'agit pas d'un accident, votre adversaire de gauche réfléchit et vous remplacez votre carton 1 par celui d'1 . Il n'y a pas eu de fausse information vous avez simplement fait : " une correction différée ou réfléchie de votre déclaration initiale ".

Je vous déconseille d'emblée cette pratique qui ne peut jamais vous profiter, mais supposons que vous l'ayez fait quand même. Ce que vous venez de faire est illégal ! que va-t-il se passer ?

Il est certain que vos adversaires vont appeler l'arbitre, lequel va vous signifier que vous tombez sous le coup de la Loi 25 B qui dit que :

  1. La déclaration de remplacement est acceptée.

    La déclaration de remplacement peut être acceptée (traitée comme légale) au choix de l'adversaire à gauche du joueur fautif, en ce cas la seconde déclaration est maintenue et les annonces continuent sans pénalité.

    Si l'adversaire à gauche du joueur fautif a déclaré avant que l'attention ait été portée sur l'infraction, et si l'arbitre détermine qu'il voulait déclarer à ce tour sur la déclaration d'origine, la déclaration de remplacement est maintenue sans pénalité, et l'adversaire à gauche du joueur fautif peut retirer sa déclaration sans pénalité.

    En clair, vous aviez dit 1 et vous avez changé par 1, votre adversaire, qui n'a pas vu ce changement, a posé 1 , ce qu'il voulait dire sur 1. Dans ce cas, il est obligé d'accepter votre enchère d'1 , mais il n'est pas obligé de dire 2 (et son enchère d'1 n'est pas considérée comme insuffisante), il choisit l'enchère de son choix.
     
      
     
  2. Si la déclaration de remplacement n'est pas acceptée, elle est ANNULÉE et :
  1. première déclaration illégale
    la loi adéquate est appliquée et possibilité de pénalité d'attaque pour la deuxième déclaration (Loi 26) ;
  2. première déclaration légale le joueur fautif doit, soit :

- maintenir la première déclaration et son partenaire doit PASSER à son prochain tour de déclarer
(+ Loi 23 A quand le passe lèse le camp non fautif),

- ou remplacer par une autre déclaration : faire une autre déclaration légale et son partenaire doit passer jusqu'à la fin des enchères
(+ Loi 23 A quand un passe...).

Ouf... je vois d'ici la sueur perler sur votre front...
Traduisons : si vous aviez tenté de corriger une enchère illégale, par exemple insuffisante, la loi correspondante sera appliquée. Si vous maintenez votre première enchère votre partenaire doit passer une fois et, si vous faites n'importe quelle autre enchère votre partenaire ne peut plus parler jusqu'à la fin de la séquence.

Mais attention, la redoutable Loi 23 vous guette... N'espérez pas avoir ainsi trouvé un bon truc pour priver volontairement votre partenaire d'enchère. Trop facile... la Loi 23 que je vous épargnerai pour aujourd'hui, dit, en gros, que, si le fait que votre partenaire est obligé de passer désavantage vos adversaires non fautifs, l'arbitre peut appliquer une marque ajustée.

Donc pas d'issue favorable possible...

 

Carte jouée ou non ?

Comme nous l'avons vu dans les exemples du début en ce qui concerne le jeu de la carte, les textes distinguent deux situations : l'accident et le changement d'intention.

De plus, il faut distinguer trois cas possibles :

- jeu de la carte du déclarant,

- jeu d'une carte du flanc,

- jeu d'une carte du mort.

Carte jouée du déclarant

Une carte du déclarant est considérée comme jouée lorsque :

  1. le déclarant l'a sortie de son jeu volontairement (elle n'est pas tombée par accident sur la table),
  2. elle est tenue face en l'air, visible, touchant ou presque la table.

Il n'est pas nécessaire que la carte soit posée sur la table, ni même qu'elle ait touché la table pour être considérée comme jouée.

Attention, le mot volontairement s'applique au geste et non pas au choix résultant de votre réflexion.

Exemple : le Roi de Carreau a été joué, votre intention est de couper du 3 de Cœur, vous prenez la carte d'à côté et sortez l'As de Pique que vous faites voir en l'approchant de la table. Il est joué, même s'il s'agit d'une erreur grossière et manifeste. Pour que cet As de Pique ne soit pas joué il faudrait qu'il soit tombé accidentellement de votre jeu. Une fois de plus le code ne vous aidera pas à réparer vos erreurs d'inattention.

Carte jouée de la défense

En flanc une carte est considérée comme jouée dès qu'elle a pu avoir été vue par le partenaire. Même s'il ne l'a pas effectivement vue, la présomption suffit. C'est la position (l'angle) sous lequel vous tenez cette carte qui sera déterminante.

Carte jouée par le mort

Les cartes du mort se jouent en les désignant nommément. De plus, si (déclarant) vous touchez volontairement une carte du mort, elle est jouée (sauf si manifestement vous étiez en train de les ranger).

Une fois nommée, une carte du mort est jouée.

La loi vous autorise à changer la désignation s'il s'agit d'un lapsus et à condition que vous l'ayez fait sans pause pour réfléchir.

Vous dites " petit Cœur non petit Trèfle " dans la même phrase et dans la foulée, le Cœur n'est pas joué. Mais, dès qu'il y a la moindre hésitation, la plus petite seconde écoulée entre les deux désignations, le code dit qu'il s'agit d'un changement d'intention et que la première carte nommée est jouée.

Exemple :

Le mort détient As-Dame-Valet-x et vous x-x, vous appelez le Valet du mort, ça marche... vous rentrez main et rejouez x, vous appelez la Dame et horreur le flanc a fourni le Roi et vous dites l'As. Eh bien, non, trop tard, votre intention initiale était bien de faire l'impasse et vous avez changé d'intention en voyant le Roi. Le code dit que vous avez joué la Dame.

Sévère... cruel même penserez-vous ? Certes, mais légal.

Nos conseils seront simples

Ne vous précipitez pas.
Regardez les cartes.
Réfléchissez avant de jouer.
Soyez attentif et concentré, vos fautes d'inattention ne seront pas pardonnées.   

Bien, maintenant vous savez quand une carte est jouée ou non. Supposons que vous désiriez reprendre une carte jouée ou encore que vous l'ayez fait, que va-t-il se passer ?

La Loi 47 G est claire :
" Une carte, une fois jouée, ne peut être retirée (excepté comme prévu aux articles A à E). "

Donc vous ne pouvez pas retirer votre carte que vous soyez déclarant, défenseur ou mort. Si vous l'avez fait :

  1. en tant que déclarant, vous fournissez la carte jouée initialement, et vous reprenez sans pénalité la carte substituée. En effet, le déclarant n'a jamais de carte pénalisée, simplement les joueurs du flanc ont l'avantage de connaître la présence de cette carte dans sa main ;
  2. en tant que joueur de flanc, vous fournissez la carte initiale et la carte substituée devient une carte pénalisée principale ;
  3. en jouant une carte du mort, c'est la première nommée qui est jouée.

La Loi 47 prévoit des exceptions :

47 A
Pour se soumettre à une pénalité. Par exemple vous aviez déjà une carte pénalisée que vous aviez l'obligation de jouer en priorité.
 
47 B
Pour corriger un jeu illégal ou simultané.
 
47 C
Pour changer une désignation faite par inadvertance (voir plus haut).
 
47 D
Après un changement de jeu de l'adversaire une carte jouée peut être retirée et remplacée par pénalité.
 
47 E
Changement de jeu basé sur une fausse information.
  1. Attaque hors tour : une attaque hors tour peut être reprise sans pénalité si l'attaquant a été averti à tort par un adversaire que c'était son tour d'attaquer.
  2. Reprise d'une carte jouée.
    1. Personne n'a joué par la suite : un joueur peut reprendre une carte qu'il a jouée après une explication erronée d'une déclaration ou d'un jeu conventionnel d'un adversaire et avant sa correction, mais seulement si aucune carte n'a été jouée par la suite à cette levée.
    2. Une ou plusieurs cartes jouées par la suite : quand il est trop tard pour corriger un jeu, selon un précédent, la Loi 40 C est appliquée (conventions et agréments).

Par exemple :

Vous êtes déclarant à 3 Sans-Atout, l'entame est le Valet de Carreau, le mort a Roi-10-x et vous As-9-8-x.
Vous fournissez le Roi et, à ce moment, votre adversaire de droite vous indique que les conventions d'entame figurant que sa feuille sont fausses (ou incomplètes).

Vous pouvez reprendre le Roi de Carreau puis, selon les explications qui vous seront données (têtes de séquences inversées par exemple), jouer la carte de votre choix.

Si votre adversaire de droite a joué après le Roi de Carreau, il est trop tard pour reprendre votre carte et la Loi 40 C pourra être appliquée (marque ajustée possible).

Les arbitrages relatifs à ces cas "d'enchères et de jeux faits ou non" sont toujours délicats.

Le "sans pause pour réfléchir" est fréquemment contesté, de même que ce que les textes appellent " changement d'intention " est souvent mal interprété.

L'angle sous lequel une carte a été tenue, le fait que la position soit telle que le partenaire "ait pu"... sont autant d'éléments discutables et sujets à contestations. Les faits réels ne sont pas toujours faciles à établir.

D'une manière générale les joueurs connaissent insuffisamment leurs droits et leurs obligations.

Je ne saurais trop conseiller aux joueurs qui abordent la compétition (et aux autres aussi) de mieux s'informer dans le domaine des règles du jeu qu'ils pratiquent, par ailleurs, avec autant de passion...

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