ARBITRAGE

3

Rubrique des Arbitres

 


Retour à la page d'accueil:


Rubriques de Michel MAITRE - Bridgeur n° 668 - 15 novembre 1994

Erreurs d'application et d'explication


Michel Maître, arbitre national
 


Erreurs d'application et d'explication

Vous avez un partenaire habituel, vous jouez un système et vous avez décidé, d'un commun accord, de l'agrémenter de quelques conventions. De temps à autre, vous jouez aussi avec un partenaire occasionnel ; dans ce cas, votre " mise au point ", plus rapide, pourra comporter quelques oublis. Par exemple, vous n'avez pas parlé des interventions bicolores. Il est possible, qu'au cours des enchères ou du jeu, vous commettiez des " erreurs d'application ou d'explication ".
 

Une première constatation s'impose : au regard du code, que vous jouiez pour la première fois avec M. X..., rencontré il y a cinq minutes, et avec qui vous n'êtes convenu de rien, ou avec M. Z..., votre partenaire depuis vingt ans, il n'y a pas de différence.
Injuste ? Peut-être, mais indiscutable !
Votre argument: " Nous jouons ensemble pour la première fois " ne sera pas pris en compte par l'arbitre.

Dès que vous jouez un système, ou des conventions, votre partenaire et vous-même, êtes censés :

  1. jouer la même chose (obligatoire),
  2. connaître le système et les conventions que vous avez choisis.

Définitions

  1. Erreur d'application

Sur l'ouverture de 1 SA adverse, nous jouons les interventions en Texas. C'est écrit " noir sur blanc " sur notre feuille de conventions. L'adversaire ouvre de 1 SA, vous dites 2 , que je m'empresse d'alerter comme " Texas Pique ". Or, vous avez du Coeur et pas de Pique et vous avez oublié la convention. Il s'agit là, clairement, d'une erreur d'application.

  1. Erreur d'explication

L'adversaire ouvre de 1 SA, vous intervenez à 2 que j'alerte, en expliquant : " Petit contre d'appel 11-13, sans distribution particulière ". Or, nous jouons le Landy (bicolore majeur) comme cela est inscrit sur notre feuille. Je me suis trompé dans l'explication de notre système.

L'erreur d'application est une action de jeu (enchère ou carte jouée) contraire ou différente de celle prévue dans le cadre d'un système (ou d'une convention) clairement établi.
L'erreur d'explication est l'énoncé d'un système, d'une partie d'un système ou d'une convention, faux, incomplet ou différent de ceux qui sont réellement pratiqués.
Les deux situations sont fondamentalement différentes. Les conséquences ultérieures, sur les enchères, le jeu et l'arbitrage seront également très différentes.

En effet :

Loi 75 B
" Il n'est pas inconvenant, pour un joueur, d'enfreindre un agrément annoncé, tant que son partenaire l'ignore (mais ce genre de violations habituelles au sein d'une paire peut créer des agréments implicites qui doivent être révélés).
Aucun joueur n'a l'obligation de révéler aux adversaires qu'il a violé un agrément annoncé, et, si les adversaires sont, par la suite, lésés, par exemple en en tirant une fausse inférence, ils n'ont pas droit à un redressement ".

Voilà qui est clair !

Vous avez le droit d'oublier une convention, de " sortir du système " pour autant que cela ne résulte pas en fait d'un accord caché avec le partenaire. De plus, le fait que vos " oublis " se répètent trop fréquemment est assimilable à une convention, même si celle-ci ne figure pas sur votre feuille !

Erreurs d'application

  1. M. et Mme X... jouent souvent ensemble, en général des épreuves mixtes. Sur leur feuille de conventions, il est écrit " Meilleure mineure ". Les ouvertures de Mme X... sont parfaitement conformes à ce système. En revanche, M. X... ouvre fréquemment de 1 dans deux cartes (vous savez, pour se protéger contre l'entame à 3 SA, qui sera, bien sûr, joué de sa main !). Bien entendu, Mme X... connaît ce petit travers... et elle se méfie, mais que pourrait-elle dire aux adversaires ?... " D'ailleurs, Monsieur l'arbitre, je n'en tire aucun avantage ".
    M. et Mme X... sont en infraction quasi permanente avec la loi citée plus haut. L'arbitre aura le plus grand mal à leur expliquer que, malgré leur bonne foi, 3 SA juste fait est ramené à 3 SA moins 2 sur entame Carreau et que, de plus, leur feuille de conventions doit être annotée de la manière suivante : "Psychiques fréquents du joueur Nord dans les ouvertures mineures ".
    Il est malheureusement à craindre que M. et Mme X... soient peu satisfaits de l'arbitrage, sauf si... à la table suivante, ils rencontrent M. et Mme Y... qui, précisément, eux aussi...
     
     
  2. Votre adversaire de gauche, Sud, ouvre de 2 alerté en Nord comme " Six cartes à Pique et 6-11 points DH ". Je passe, Nord passe. Nous sommes vulnérables et, au nom de vos quatre cartes à Coeur et de vos 12 points H, vous réveillez par contre. Finalement, nous jouons 3 contré, négocié au mieux : 800 pour Nord-Sud. Ce dernier avait un 2 fort à Pique, 19 points d'honneurs et Nord avait passé avec 9 points.
    Outre mes zéro point d'honneur, je ne détenais que le 10 de Carreau cinquième.
    Nord-Sud jouaient bien le 2 faible comme le prouve leur feuille de conventions et d'ailleurs le passe de Nord le prouve... Sud avait oublié.
    Vous êtes ulcéré ? " Dire qu'ils empaillaient la manche ! " et que, malgré les excuses de Sud, conformément aux lois, nous repartons avec notre zéro !
     

Ce n'était pas notre jour, certes, mais lorsque ces situations se reproduiront, ce sera plus souvent à notre avantage qu'à celui de nos adversaires.
L'erreur d'application n'est donc pas pénalisable en soi, mais attention à la suite...

Erreur d'application (suite)

Sur 1 SA vous avez dit 2 que j'ai alerté (Texas Pique). J'ai obéi en disant 2 et je suis " tombé " dans votre singleton. Peu désireux de jouer en 3 et 1 ou en 2 et 1, vous répétez vos Cœurs au palier de 3, et je passe !

Supposons que je détienne Axxx x RD10xx xxx, cela signifie que j'ai visiblement deviné que vous avez oublié notre convention ! Notre avenir, sur cette donne, est sombre : à la vue de ce mort, nos adversaires vont appeler l'arbitre.

Que va-t-il alors se passer?

Nous allons jouer la donne puis nos adversaires rappelleront l'arbitre qui estimera :

1.   qu'il y a eu information illicite, car c'est mon explication de notre convention qui vous a " réveillé " et fait dire 3 sur 2 (sinon pourquoi auriez-vous reparlé ?), 
2.   que, sur votre Texas, j'aurais dû nommer directement 3 ou 4
3.   que le fait d'avoir passé sur 3 résulte sûrement d'une autre information illicite (votre sursaut lors de mon explication ou encore votre "air effondré" ou tout autre maniérisme), 
4.   que le résultat obtenu est annulé, que le contrat final sera de 4 ou 5 contré (palier avant lequel je ne peux pas comprendre votre erreur) et il nous sera appliqué une "marque de remplacement" correspondant au nombre de levées de chute à ce palier avec le flanc "vraisemblable le plus favorable" pour nos adversaires. 

Comme vous pouvez le constater, bien que l'erreur d'application ne soit pas pénalisable en soi, il est souvent difficile de se sortir de la situation qu'elle engendre.

Notez de plus que, s'il n'y a pas eu " maniérisme " de votre part, notre situation est encore plus grave, car mon passe sur 3 indique que " notre communication " entre partenaires s'effectue de façon encore plus illicite... Mais cela est un autre sujet...

Comment éviter les erreurs d'application ?

Un fortifiant pour la mémoire, peut-être ? Mais, en outre, surtout si vous n'êtes pas un " professionnel " assidu, ne surchargez pas votre système de conventions, intéressantes, certes, mais d'usage rarissime.

Si vous êtes une paire occasionnelle, jouez " simple " ; si vous êtes en train de créer une paire destinée à être durable, procédez par paliers, n'ajoutez de convention nouvelle que si votre partenaire et vous maîtrisez parfaitement celles que vous jouez déjà.

Remplissez une nouvelle feuille de conventions à chaque occasion, ou relisez l'ancienne. Une petite remise en mémoire ne fait jamais de mal. De plus (Loi 75, exemple 2), " en l'absence d'évidence contraire, l'arbitre doit présumer qu'il s'agit plutôt d'une erreur d'explication que d'une fausse déclaration ". Or, comme nous l'avons vu, si vous avez le droit d'oublier une convention, vous n'avez jamais le droit de vous tromper en expliquant votre système ou vos conventions.

Donc, plus votre système sera complexe, ou plus vous jouerez de conventions, plus votre feuille de conventions devra être détaillée, précise, claire et d'évidence à la disposition de vos adversaires.

Erreur d'explication

L'exemple (réel) qui suit, montre clairement les conséquences possibles d'une erreur d'explication. Match par quatre, avec paravent.

10
R V x x x
x x x
x x x x
D V
x
R V 10 x x
R D 10 x x
A 8 7 5
A D
A D x x
V x x
R x x x x x
10 x x x x x
x
A
Nord Est Sud Ouest
1 SA
2 * 2 fin

* De son côté du paravent, Sud a alerté son enchère comme étant un Landy (bicolore majeur), conformément à son système et à sa feuille de conventions.

Nanti de cette explication, Ouest a déclaré 2 , cue-bid fort dans cette situation.

De l'autre côté de l'écran, Nord a alerté 2 comme "petit contre d'appel, sans distribution particulière", en contradiction avec sa feuille de conventions.
Disposant de cette seule explication, Est a donc interprété l'enchère d'Ouest comme naturelle et non forcing, et a passé.

Appelé, l'arbitre a constaté :

  1. que Nord-Sud jouaient le Landy, ce qui figurait sur leur feuille,
  2. qu'il y avait eu erreur d'explication,
  3. qu'Est-Ouest avaient subi un dommage, et que celui-ci était directement lié à l'infraction.

Est-Ouest ont donc droit à un redressement.

Arbitrage : résultat annulé ; contrat final 3 SA, joué par Est, douze levées accordées.

Je vous rappelle que pour avoir droit à redressement, il faut avoir subi un dommage.

Si, par exemple, vos adversaires se sont trompés dans l'explication du Blackwood qu'ils pratiquent, bien que l'un des deux adversaires dispose de l'information illicite de l'erreur d'explication de son partenaire, si celui-ci dispose de 19 ou 20 points H, en face de l'ouverture d'1 SA, il sera difficile de leur retirer le chelem !

Dans certains cas, l'arbitre décidera de maintenir le score, estimant que vous n'avez pas subi de dommages, mais attribuera au camp responsable de I erreur d'explication une pénalité en IMP ou en pourcentage.

Correction des erreurs d'explication

Loi 75 D 2

  1. Le joueur qui explique se rend compte de sa propre erreur.
    Si un joueur réalise par la suite que sa propre explication était fausse ou incomplète, il doit immédiatement appeler l'arbitre.
  2. Le partenaire du joueur qui a expliqué se rend compte de l'erreur.
    Il n'est pas approprié, pour un joueur dont le partenaire a donné une fausse explication, de corriger l'erreur immédiatement, avant la fin des annonces, ou avant la fin du jeu si c'est un joueur de la défense ; pas plus qu'il n'est approprié d'indiquer d'aucune façon qu'une erreur a été faite. (Il ne doit pas tirer avantage de l'information non autorisée ainsi obtenue.) Cependant, le joueur doit informer ses adversaires, après avoir appelé l'arbitre, que l'explication de son partenaire était erronée, à la première opportunité légale (après le passe final s'il est déclarant ou mort, après la fin du jeu s'il est joueur de la défense).

Commentaires

Si vous vous êtes trompé en expliquant, vous appelez l'arbitre de suite ; en revanche, si c'est votre partenaire qui s'est trompé, vous ne devez rien faire avant le passe final, ou la fin du jeu, sinon vous donneriez à votre partenaire une information illicite importante en attirant son attention. Si votre partenaire "dort" vous n'avez pas le droit de le "réveiller".

De plus, vous ne devez pas tenir compte du fait que vous savez qu'il se trompe.

Exemple

Vous jouez le 2 faible, c'est votre système, écrit sur votre feuille de convention vous ouvrez de 2 , l'adversaire se renseigne, votre partenaire explique qu'il s'agit d'un 2 fort, l'adversaire dit 3 , votre partenaire contre !

Vous savez maintenant qu'il compte sur des levées que, bien sûr, vous n'avez pas, et vous dégagez à 3 ! Vous n'en avez pas le droit car votre surenchère, vos cartes n'ayant pas changé entre temps, s'appuie clairement sur une information illicite. D'ailleurs si vous jouiez derrière un paravent, vous n'envisageriez pas de reparler dans cette situation.

Que va-t-il se passer ?

Si 3 contré gagne, ce sera le contrat final. Si 3 contré chute, le contrat final sera 3 ou 3 contré selon le cas à la fois le plus vraisemblable et le plus favorable pour les adversaires.

Pour en terminer, voici un rappel des situations et conventions qui créent le plus fréquemment des appels à l'arbitre pour erreur d'application ou d'explication :

  1. Les conventions bicolores sur l'ouverture adverse, Michaels précisés ou non, et les bicolores Ghestem.
  2. Les interventions sur le Sans-Atout adverse :
    - Landy, Landy " sournois " et autres...
    - le contre sur le Sans-Atout adverse,
    - les interventions naturelles ou en Texas.
  3. Les enchères consécutives à l'intervention adverse sur l'ouverture à Sans-Atout de votre camp :
    - surcontre,
    - contre,
    - Lebenshol, enchères naturelles forcing ou non, enchères en Texas, enchères de bicolores.
  4. Les enchères consécutives à l'ouverture d'un 2 faible.
  5. Les ouvertures au palier de 2 annonçant un bicolore.
  6. Les enchères consécutives des deux camps après une ouverture du type précédent.

Si votre paire est parfaitement au point dans toutes les situations ci-dessus, vous avez éliminé 99 % des possibilités d'appel à l'arbitre contre vous.

Bravo, vous pourrez dormir tranquille !...

(L'arbitre aussi...)

Retour au sommaire de la rubrique: