DIVERS
A
Avant le Bridge
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Origine des cartes à jouer
Les ancêtres
En Chine
Les Chinois, forts inventifs, auraient d'abord transformé les jeux de dés en créant les dominos, et, plus tard
par similitude avec les billets de banque qui existaient depuis la dynastie Tang (618-908) ces dominos
furent imprimés sur des billets en papier qui portaient des symboles indiquant leur valeur de points.
Ces cartes-dominos auraient servi à divertir les concubines de l’empereur chinois Houeï Tsong. Les plus anciennes
qui aient été retrouvées datent du XIè siècle : elles ont la forme d'un bandeau rectangulaire très étroit ;
elles n’ont pas de motifs sur le dos, ni d’illustration sur la face.
En Inde
On retrouve des cartons de forme ronde en Inde, à peu près aussi anciennes que les cartes chinoises.
Cette forme fait penser qu'elles ont été crées à partir des pièces utilisées sur des damiers,
supports de jeux alors très répandus dans cette région (il nous reste les jeux de dame et d’échecs, mais
aussi le backgammon, par exemple).
Par contre les cartes indiennes sont illustrées, et n’ont pas de valeur numérique associée.
En Arménie
Les voyageurs de la route de la soie ont amenés ces cartes en Occident jusqu’en Arménie où apparaît le jeu de naïbi.
L'étymologie du mot naïbi reste floue. En hindoustani naïb désignait un officier de l'armée, un « lieutenant » ;
du mot au pluriel nawwâb, on a formé le mot français nabab.
Les naïbi étaient en quelque sorte des soldats en image. Dans les naïbi, on peut donc raisonnablement penser que les images initiales
représentaient des officiers ou des nobles arméniens de divers rangs.
La mythologie arménienne associait les guerriers légendaires à des demi-dieux, eux-mêmes soumis aux dieux guerriers, à quoi s'ajoutaient
les héros et les amants (comme dans la mythologie grecque). La société arménienne médiévale était dirigée
par quatre princes, ce qui explique peut-être les quatre « couleurs » de ce jeu.
Au début, selon certains textes, les naïbi étaient vraisemblablement d'un usage autant pédagogique que
ludique : le jeu apprenait aux enfants arméniens à compter et à conserver le souvenir de l'histoire
de leur peuple exilé.
Les premières traces
Les Mameluks avaient envahi les Arméniens en 1071 et ramenèrent les cartes avec eux en Egypte,
alors que les Arméniens se réfugièrent avec, à Venise notamment, où « des banquiers collaborèrent avec les Lombards auxquels
ils apportèrent leur expérience immémoriale des trafics avec le Proche-Orient, l'Inde et la Chine ».
En Méditerranée
On retrouve des traces remontant au XIIè ou XIIIè siècle d'un jeu mamelouk dont la forme est très proche
du jeu italien. Par ailleurs, le nom de certaines figures (naib malik et thani naib) rappelle le mot
italien naibbe ainsi que le mot espagnol naipes, qui désignent les cartes à jouer.
L'introduction en Europe s'est faite par l'Espagne, qui était alors occupée par les Maures, et par l'Italie,
grâce aux commerçants vénitiens et lombards.
En Italie, le 23 mars 1375, un décret des prieurs de Florence interdit un jeu qui est appelé « naib-be »,
ce que confirme deux fois la Chronique de Viterbe en 1379 en parlant d'un jeu qui « en sarrasin se nomme
nayb ou hayl ».
Ce serait vraisemblablement les enfants réfugiés arméniens qui apprirent aux enfants italiens à jouer au naïbi
comme l'atteste à Florence, en 1393, Giovanni Morelli, qui recommande « d'éviter les jeux de hasard comme
les dés et d'imiter plutôt les enfants qui jouent aux osselets, à la toupie et aux naïbes (naïbi) ».
Primitivement le jeu de cartes oriental joué par les enfants devait être très simple, analogue aux jeux
de la « bataille » qu'ils jouent encore aujourd'hui : les figurines des officiers supérieurs éliminant
celles des inférieurs. Le jeu comportait quatre « compagnies », distinguées chacune par une « enseigne »
que portaient les personnages :
une bourse de deniers (devenu plus tard le carreau),
une coupe à boisson (remplacée par le coeur),
une épée (par le pique)
et un gourdin (par le trèfle)
composées de 8 soldats numérotés de 2 à 9 et trois naïbis différents (pas de dame).
Evolution et stabilisation
Fabriquées et peintes à la main par des artistes reconnus, rehaussées d'or fin, les premières cartes à jouer
du XVè siècle étaient réservées à une élite fortunée.
On possède des jeux avec des soldats numérotés, et à leur tête, un roi, une reine, un écuyer et un « varlet ».
Puis les soldats sont devenus des points, l'écuyer a disparu, remplacé par l'as.
Les anciens symboles subsistent d'ailleurs sur certains jeux dits « espagnols », encore utilisés en Italie,
en Espagne et dans le sud-ouest de la France. Les cartes allemandes, elles, comportaient des séries
représentant des coeurs, des grelots, des feuilles et des glands. En France, piques, coeurs, carreaux
et trèfles ne s’imposèrent que vers la fin du XVè siècle et furent exportés en Angleterre, où, pourtant,
les trèfles et les piques sont désignés par les mots clubs et spades, rappelant les bâtons et les épées.
Très vite, il a fallu dessiner leur dos, pour ne pas le laisser blanc : les tricheurs habiles repéraient
les salissures, qui leur permettaient de reconnaître les cartes détenues par les autres joueurs.
Le Musée Topkapi d'Istanbul conserve un magnifique jeu enluminé du XVe siècle, très proche des jeux italiens
qui lui sont légèrement postérieurs.
Arrivée en Europe du Nord
Bertrand DU GUESCLIN les découvrit lors de sa campagne d’Italie et ses troupes en ramenèrent avec les règles
du naïbi à leur retour en France en 1370.
Le jeu se répand comme une traînée de poudre. Il est repéré dès 1377 à Florence et dans la vallée du Rhin ;
en 1379, il a déjà gagné le Brabant. Si la Catalogne a peut-être précédé ces dates de peu, le royaume de
France s'inscrit quant à lui en retrait : ce n'est guère avant 1381 que l’on trouve une première référence
aux cartes dans les minutes d'un notaire marseillais, et pour la seconde fois dans une ordonnance d'un
magistrat lillois interdisant les jeux de cartes en 1382 : les guetteurs abandonnaient leur poste pour
y jouer tranquillement !
En Allemagne, on commençait à jouer au Landsknecht (les soldats français y jouaient aussi dès le siècle
suivant sous le nom de lansquenet ou piquet). Or « knecht » signifie en allemand serviteur, valet
(landsknecht : serviteur de la terre, serviteur du pays). A l'origine, ce terme devait avoir un sens
relativement noble, comme l'équivalent anglais « knight » qui veut dire chevalier, ce qui rejoint l'idée
d'un titre d'officier de l'armée, de lieutenant (naïb).
Le savant jésuite Claude François Ménestrier (1631-1705) fut le premier historien du jeu de cartes. Il cite
un compte - aujourd'hui disparu - de l'hôtel de Charles VI évoquant en 1392 l'achat de trois jeux de
cartes à Jacquemin Gringonneur : « cette année 1392 fut l’année malheureuse en laquelle le roi Charles VI
tomba en frénésie, et ce fut pour le divertir durant cette maladie que l’on inventa le jeu de cartes. ».
En 1397, le prévôt de Paris constatait que « plusieurs gens de métier et autre du petit peuple quittent leur
ouvrage et leurs familles pendant les jours ouvrables, pour aller jouer à la paume, à la boule, aux dez,
aux cartes », et faisait « défenses aux personnes de cette condition de jouer pendant les jours ouvrables ».
Quoi qu'il en soit, Le jeu de cartes avait pénétré de larges couches de la population européenne autour de
1400, laissant seulement de côté les îles britanniques, les pays scandinaves et le monde slave qui ne les
reçurent qu'au milieu du XVe siècle.
Les jeux de cartes vont se démocratiser rapidement, avec l'utilisation de procédés de fabrication plus
économiques : dans un premier temps, les cartes sont de très mauvaise qualité, avec des coloriages
grossiers au pochoir; plus tard, l'imprimerie permet des progrès considérables. Dès 1420, des fabricants
suisses et allemands produisent des jeux par milliers.
L'engouement est tel que l'Eglise s'en inquiète : de nombreux édits interdisent l'usage des cartes. Dans
certaines villes (Bologne en 1423, Nuremberg en 1452), des autodafés de jeux sont organisés.
Au siècle suivant en France (en 1534), Rabelais, dans son programme d'éducation, proposait de jouer aux
cartes « afin d'ouvrir l'intelligence à l'arithmétique ».
On ne possède aucun jeu complet de figurines datant du 14ème siècle, ni les règles du jeu primitives du naïbi
ou du lansquenet.
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