ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Christian BURGUET - Bridgeur n° 777 - Octobre 2004

Ne refusez pas l'aide de l'arbitre !


Christian Burguet, arbitre fédéral
 


 

L'appel à l'arbitre est un droit et un devoir. Christian Burguet fait le point sur ce qui est malheureusement considéré trop souvent comme un recours désobligeant.

L'arbitre, plaisante-t-on parfois à propos du football, c'est ce type en noir qui se promène au milieu du terrain et qui empêche tout le monde de s'amuser. On se moque, mais au moins les supporters savent-ils que sa présence est indispensable.
Au bridge, c'est pire. Pour beaucoup, appeler l'arbitre, c'est faire une déclaration de guerre à l'adversaire.

Ainsi, comme chacun le sait, Mme Lefranc est trop gentille [comme le prouvent ses (més)aventures Bridgerama !] et combien de fois, comme nous tous, laisse-t-elle des irrégularités plus ou moins importantes se commettre à la table ? Après tout, "le bridge est un jeu convivial".
Il faut reconnaître aussi que, bien involontairement, il lui arrive de léser l'adversaire et elle comprend mal pourquoi celui-ci appelle l'arbitre. Et ce qui est encore plus grave, c'est quand, tout comme je l'ai fait lors de mes premières années de bridge, tout comme vous l'avez sans doute fait, elle se laisse sanctionner à la table par des adversaires qui pensent connaître le règlement.
"Vautour, Roublard ou même Chipie sont des joueurs beaucoup plus confirmés et, s'ils appliquent une pénalité, ils ont sûrement raison ! Ceci est inacceptable. D'abord parce que seul l'arbitre a le droit de sanctionner une équipe et qu'un joueur, fut-il même arbitre (à moins qu'il n'y en ait pas d'autre disponible), n'a pas à s'autoarbitrer. Ensuite, parce que le règlement étant particulièrement complexe, il suffit parfois d'un tout petit détail pour que l'arbitrage soit totalement différent. Alors, si on essayait de voir l'arbitre autrement?

I L'arbitre vous protège quand vous êtes lésé

A Le psychique en intervention

ENCHERES
SUDOUEST NORDEST
MrLefrancRoublard MmeLefrancSaitout
1 SA 2 2 SA Passe
3 SA Fin    
Les Coeurs étant mal répartis, Lefranc joue sur les autres couleurs. Surprise, les Coeurs sont 3-3, ce sont les Piques qui sont chez Roublard. " Excusez-moi, je n'ai pas résisté à faire un psychique... mais ce n'est pas interdit, je crois ? Loi 40 ou un truc dans ce genre-là ? "
Tartuffe ! Il le sait parfaitement, tout comme il sait que Lefranc va payer sans rien dire ce mauvais coup. Lui aussi connaît le règlement, inutile d'appeler l'arbitre !

Est-ce vraiment inutile ? Avant d'aller plus loin, réfléchissez. Réponse : comme vous le savez, sauf certaines exceptions, les psychiques sont autorisés en tournoi de catégorie 2B, c'est-à-dire dans la plupart des tournois par paires, y compris l'ensemble des tournois de club (sauf autorisation de déclassement en 3ème catégorie, obtenue de la F.F.B. et clairement indiquée à l'ensemble des joueurs). Pourtant, au moindre doute, je conseille aux "victimes" de psychiques de ne pas hésiter à demander (très aimablement) l'avis de l'arbitre. Si dans beaucoup de cas vous "payerez" quand même, au moins vous connaîtrez vos droits, vous apprendrez à vous défendre et vous aurez parfois une bonne surprise, comme dans cet exemple !
Si les Lefranc avaient appelé Courtois en arbitrage, il aurait révélé le pot aux roses : Saitout annonce habituellement en Texas en intervention sur 1SA. Pourtant, quand son partenaire dit 2 , il comprend mais oublie d'alerter. Roublard réagit aussitôt et invente cette histoire de psychique. Seul l'arbitre, qui connaît toutes les vérifications à faire dans ce cas (relire Psychique, ruses et fantaisie, page 122), pouvait confondre l'imposteur... Encore aurait-il fallu l'appeler.

B L'hésitation après Stop

Il n'est pourtant pas nécessaire d'être un Roublard pour donner des informations illicites.
ENCHERES
MrLefrancOUEST MmeLefrancEST
1 Passe 1 Passe
Stop ... 3 Passe ! 4 Arbitre !
À un moment, Camille Lefranc sort le carton Stop, puis réfléchit longuement. 3 est finalement posé sur la table. 4 chez Lefranc avec à peine plus que le minimum syndical (7H-8DH). Son adversaire, Mme Chipie, hurle : "arbitre!". Qu'en pensez-vous?
Réponse : l'hésitation donne-t-elle une information illicite ? En fait, comme souvent, pas vraiment, personne ne devrait trop savoir si elle a hésité entre 2 et 3 ou entre 3 et 4. Pourtant, après avoir sorti le Stop, plus de doute c'est bien entre 3 et 4 qu'hésitait Mme Lefranc. L'arbitre laissera jouer et, si 4 Piques gagne, il envisagera une correction à 170. Encore faut-il qu'il soit appelé. Mais qui, en dehors de Chipie, ose appeler l'arbitre contre une adversaire aussi honnête ? (Pas moi en tout cas, en compétition, j'ai subi exactement ceci sans rien dire, il y a à peine deux mois).

C Nouvelle hésitation de Mme Lefranc

"Étonnant de la part de Camille, si scrupuleuse ", pense Courtois après avoir dû corriger le résultat des Lefranc contre Chipie. On hésite ainsi à appeler l'arbitre contre des adversaires intègres. Et pourtant... Dès la table suivante, Mme Lefranc piège Vautour
A 7 4 3
R D 10
V 10
R 4 3 2
 
 
 
 

N

O             E

S

 
 
 
 
4 2
V 9 8 2
A R 9 4 3
6 5
ENCHERES
NORDMme Lefranc VautourMr Lefranc
1 Passe 1 Passe
1 Passe 1 SA Fin
Lefranc entame dans la couleur verte : 5 de Carreau. A priori, ça pourrait ressembler à une 4ème meilleure. Pourtant, sur le Valet de Carreau, sa partenaire hésite vraiment très longuement avant de fournir le 8. Roi de Coeur pour l'As, retour Pique : le contrat n'est plus en danger : trois Carreaux, trois Coeurs et un Pique. Bien entendu, c'est trop peu pour Vautour car, en prenant la Dame de Carreau de toute évidence placée, on fait deux de mieux. 10 de Carreau donc, le 2, le 4... et la Dame ! Suivent les Piques et les Trèfles (mal placés) pour une chute impressionnante. Mme Lefranc, prise à partie : "Oui, avec deux Carreaux (le 8 et le 2), j'ai hésité entre la parité et l'appel préférentiel à Trèfle."

Contre ces adversaires "irréprochables", Vautour n'appelle pas l'arbitre, il reste pourtant persuadé que Courtois lui aurait donné raison. Lefranc ne dit rien mais il est persuadé du contraire. Qu'en pensez-vous?
Réponse : Une fois de plus la solution est logique et nous est confirmée à la loi 73. Loi 73dD1 - extrait: "... Changer involontairement le tempo... ne constitue pas en soi une violation des convenances. Les inférences provenant de telles variations ne peuvent en être tirées que par un adversaire, et à ses propres risques. "
Lefranc aurait-il raison? Non ! Car le code précise un peu plus loin : loi 73F2 - extrait : "Si l'arbitre détermine qu'un joueur non fautif a tiré une mauvaise inférence... d'une variation de tempo ou l'équivalent d'un de ses adversaires qui n'aurait sur le plan du bridge aucune raison valable... il attribue une marque ajustée. "
Y a-t-il une raison valable d'hésiter longuement entre le 8 et le 2 ? Je ne sais pas ce que vous en pensez mais je crois que Courtois ne l'aurait pas accepté. Il ne s'agit pas d'ailleurs de punir, ou même de reprocher quoi que ce soit à Mme Lefranc, mais de rétablir l'équité après une longue hésitation, certes involontaire, mais tout à fait injustifiée.
Là aussi, encore eût-il fallu appeler l'arbitre et cela n'est pas dans nos habitudes, surtout contre des adversaires intègres.
Si ceci peut se comprendre, surtout en club, au nom d'une certaine convivialité, il serait pourtant normal de le faire quand on est de toute évidence lésé : ici, Vautour favorise ses adversaires au détriment de tous les autres Est-Ouest ! Cela est-il bien normal ?

II L'arbitre seul est habilité à vous pénaliser, mais encore faut-il tout lui expliquer

Autant beaucoup de joueurs ont pris (parfois à tort) l'habitude de s'arranger entre eux, autant ils savent que le règlement prévoit des sanctions précises pour certaines fautes: entames hors tour, renonces ou enchères insuffisantes par exemple.
C'est le cas où certains (toujours à tort) décident de s'auto-arbitrer : après tout, ces situations sont si fréquentes qu'on connaît la sanction. D'autres, plus respectueux du règlement, appellent l'arbitre mais ne pensent pas à tout expliquer ou laissent entièrement ce soin à l'adversaire qui ne dit pas tout... mais est-ce vraiment important?
Eh bien, jugez-en par vous-même à partir de ces exemples.

A L'enchère hors tour

Le club des Lefranc est très convivial et, Ronchon étant tout seul aujourd'hui, Percaline et Oups ont décidé, avec l'accord de l'arbitre, de le prendre avec eux et de tourner à trois. Contre les Lefranc, Percaline kibbitze Ronchon. Lefranc, rouge contre vert, ouvre de 1SA, 2 chez Mme Lefranc. Oups s'apprêtait à passer quand intervient Percaline, voulant juste plaisanter : "Si vous privez Ronchon de parole, il va encore râler!"
C'est vrai, Ronchon n'avait rien dit derrière 1SA et, avec 8 points et la Dame de Carreau cinquième, il n'avait vraiment rien à dire, même avec cette vulnérabilité favorable. Pourtant, il connaît un peu le règlement et il lui vient une idée perverse : 2 annonce-t-il (pour lui naturel). Maintenant, si vous dites 3 , votre partenaire est privé de parole un tour, sinon votre partenaire est privé d'enchère définitivement.

Mme Lefranc est furieuse. Pour une fois, elle sort de sa réserve et fait une remarque désobligeante. Ronchon n'apprécie pas : "C'est comme ça que vous le prenez? Moi, je voulais plaisanter, mais puisque c'est ainsi, on va appeler l'arbitre!" Courtois trouve désolant cet état d'esprit mais, après les explications de Ronchon, il se doit d'appliquer le règlement... Par acquis de conscience, il vérifie le code, loi 31... non, décidément, il ne trouve rien pour sauver les Lefranc : Ronchon a raison, je ne peux que vous conseiller de faire une annonce définitive ". Qu'en pensez-vous?
De la tenue de table? Non, ça, nous sommes sans doute d'accord, mais ce n'était pas la question, il s'agit bien de l'arbitrage, Courtois a-t-il raison ?
Oui... selon les éléments qui lui ont été fournis. Non, si vous lui aviez donné tous les éléments.

La première faute a été commise par Percaline, bien involontairement, il s'agissait d'une plaisanterie qui a mal tourné. Un spectateur n'a rien à dire, quelles que soient les erreurs à la table : enchères insuffisantes, renonce, ou annonce incohérente, tout cela ne le regarde pas ! Loi 11 B - extrait : " le droit à pénaliser une irrégularité peut être perdu si l'attention est attirée en premier sur elle par un spectateur dont la responsabilité de la présence à la table incombe au camp fautif". Attention, "peut" laisse une certaine liberté d'appréciation à l'arbitre. Pourtant, dans ces circonstances, aucun doute, Courtois n'aurait sûrement pas pénalisé Camille Lefranc s'il avait su que c'était Percaline qui, même involontairement, avait attiré l'attention sur l'erreur.

B Un chelem magique

D V 10 6 5
R D
R 5
R D V 10
 
 
 
 

N

O             E

S

 
 
 
 
A R 7 4 2
A V
8 2
A 9 8 7
"Dommage que le contrat doive être joué de ma main, pense Courtois, car 6 Piques ou même 6 Sans-Atout aurait encore une petite chance de la main de Nord, sur entame à Carreau". L'As de Carreau est en effet mal placé, le contrat de 6 Piques est irrémédiablement condamné.
Aucun regret en dépliant la feuille, c'est une belle unanimité : 6 Piques moins un à toutes les tables. Il reste une position à jouer...

C'est avec stupéfaction qu'en faisant les comptes, Courtois prend connaissance du dernier résultat : 6 Piques par Sud, égal ! L'entame n'est pas marquée. En flanc, monsieur et madame Lefranc, contre Grand-Chacal, un joueur "sous surveillance" connu pour ses annonces à l'emporte-pièce et une tenue de table douteuse. Que s'est-il passé?
- "Normal, dit Grand-Chacal, Camille Lefranc a entamé hors tour de l'As de Carreau, j'ai accepté l'entame. "
- "Vous n'avez pas à vous auto-arbitrer ! " clame Courtois.
- "Pourquoi vous aurais-je dérangé ? Vous ne pouviez décider autrement ! N'est-ce pas monsieur Courtois?"
Notre arbitre est furieux, mais il ne trouve pas la faille. Effectivement, la décision semblait obligatoire. Quand soudain... une idée ! Il rappelle Madame Lefranc, pour une dernière vérification logique. Laquelle à votre avis ?

Solution

En match par quatre, s'agissant d'une équipe de bon niveau ayant annoncé un grand nombre de points et le contrôle Carreau en Nord, il est plutôt logique d'accepter l'entame même si ça peut coûter 1 point, le contrat est maintenant assuré. Mais en tournoi par paires, s'agissant d'une équipe beaucoup moins solide, maîtrisant très mal les contrôles, comment peut-on accepter l'entame, alors même que le Roi peut accompagner l'As ? Grand-Chacal sait qu'il peut refuser l'entame à Carreau, option qui, a priori, à moins d'avoir une description précise de la main de Nord, paraît plutôt séduisante. Comment a-t-il pu prendre la bonne décision ?
Tout simplement parce que, avant de la prendre, il a tranquillement laissé le mort s'étaler : ceci est illégal, il doit prendre sa décision sans voir le mort et sans le consulter.

Malgré la loi 54C (pour les spécialistes), l'arbitre constate que Grand-Chacal s'était auto-arbitré et bien mal ! En application de la loi l0a (" seul l'arbitre a le droit d'imposer des pénalités... ") et 90B-8 (non-observation des règlements...), Courtois inscrit un zéro à l'équipe Grand-Chacal, assorti d'un sérieux avertissement.
Pourtant, les Lefranc n'ont pas bénéficié de cette correction : outre l'entame hors tour, le chelem livré par cette entame, ils s'étaient laissé faire, se rendant ainsi complice de l'irrégularité.

C Enchère insuffisante

Ce dernier point est très important, plus encore que les autres, il montre la nécessité de tout expliquer à l'arbitre, le "détail" pouvant modifier radicalement sa décision.

Cette fois, les Lefranc jouent contre Chipie, celle-ci cherche rarement à s'auto-arbitrer, mais est toujours prompte à appeler Courtois. Lefranc ouvre de 2SA. Sa partenaire croit saisir le carton 3 et pose 2 sur la table. Aussitôt, elle essaye de corriger. Trop tard, Chipie clame déjà : "arbitre!". Chipie montre : " Camille a fait une enchère insuffisante ". Les Lefranc n'ont rien à ajouter.
S'agissant d'enchères conventionnelles, Courtois ne voit pas de moyen de sauver les Lefranc : " Camille annonce ce qu'elle veut, mais l'ouvreur doit passer jusqu'à la fin des annonces!"
Camille annonce 4 . Pas de fit, couleur mal répartie, jeu de la mauvaise main, bref : un zéro. Tout cela est-il bien normal ?

Réponse

Il existe un règlement et il doit être appliqué. Pas question d'y déroger au nom du propre sens de l'équité de tel ou tel arbitre local. Courtois aurait-il raison ? Pourtant, l'esprit du code est de rechercher "la réparation d'un dommage" et une bonne connaissance de ce code, assortie d'une enquête poussée, aurait conduit à une toute autre décision.
L'arbitre a omis d'interroger la fautive et nous avons été privés de ce dialogue
- " Pourquoi avez-vous dit 2S2 ? "
- " Parce que j'ai mal attrapé le carton !" (Ceci peut d'autant plus être prouvé qu'elle a cherché immédiatement à corriger).
- " Dans ce cas, il ne s'agit pas d'une enchère insuffisante, mais d'une 'enchère faite par inadvertance' (loi 25A) et Mme Lefranc peut rectifier à 3 sans la moindre pénalité ! "

Ainsi, l'équité est tout à fait rétablie, avec un parfait respect du règlement. Si j'avais su, pensent un certain nombre de lecteurs, je me serais mieux expliqué et je n'aurais pas été pénalisé dans ce genre de situations ! Vous auriez su, si vous aviez l'habitude d'appeler l'arbitre et de vous expliquer calmement, au lieu de vous laisser sanctionner par l'adversaire qui, lui aussi, ignore souvent tous les détails du règlement.

Conclusion

Je continue à ne jamais appeler l'arbitre : à qui cela profite-t-il ?
  • Aux joueurs peu scrupuleux
    - on passe trop vite ou on hésite au bon moment et le partenaire comprend
    - on parle beaucoup, surtout quand on est le mort
    - on réagit aux mauvaises explications du partenaire après une alerte et, bien sûr, on en tient compte... Et si l'adversaire appelle l'arbitre? On s'indigne, il "joue au couteau!"
  • Aux "petits chefs", qui pénalisent les autres, et particulièrement les débutants, à longueur de tournois en s'autoarbitrant chaque fois que quelque chose ne leur plaît pas (un de ces exemples, "chelem magique", s'est passé entre des 2ème séries Pique et des débutants).
  • Et, d'une manière générale, à tous ceux qui connaissent le règlement un peu moins mal que les autres, n'hésitant pas à utiliser ce qu'ils estiment être leur droit, sans que leurs adversaires n'aient personne pour les défendre.


  • Et si on essayait de voir l'arbitre autrement ?
  • L'arbitre vous protège quand vous êtes lésé.
  • Par sa bonne connaissance du règlement, il est le seul à pouvoir vous pénaliser en rétablissant au mieux l'équité (dans la limite de ce règlement).
  • Bref, s'il est parfois censeur, il est aussi votre avocat, votre conseiller, et en tout cas le garant du bon déroulement du tournoi. Tant pis pour ceux qui ne le comprennent pas !