ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Christian BURGUET - Bridgeur n° 767 - Novembre 2003

Le Bridge Loi par Loi : Loi 16A


Christian Burguet, arbitre fédéral
 


« Information illicite venant du partenaire »

Résumé de questions de plusieurs présidents de club : « Je tiens à garder chez nous une atmosphère conviviale. Si par hasard une mauvaise tenue de table est volontaire, je trouve normal de la sanctionner, mais si c'est involontaire, je préfère être conciliant ! Ai-je raison ? ». Christian Burguet vous fournit les réponses.
 


S'il y a une loi bafouée dans beaucoup de clubs, c'est bien la Loi 16 « information non autorisée ». Mal connue de la majorité des joueurs - ils ont l'impression quand on leur fait un reproche que décidément l'adversaire est intolérant, « On est là pour s'amuser ! » - elle est également mal comprise : le titre du §A lui-même est trompeur « information illicite ». Cette loi est-elle réservée aux irrégularités ? Loin de là, comme nous allons le voir.

I - Quatre exemples autour du « Stop »

  • 1) Le professeur Oups est très étourdi (vous le savez si vous lisez Bridgerama) et quand l'adversaire ouvre de l, il pose « stop, 2 ». « Vous n'avez pas besoin de stop », dit l'adversaire. Affolement chez le professeur qui brusquement regarde à sa droite et tout le monde comprend : il n'a pas vu l'ouverture ! Cependant, il ne dit pas un mot. Passe chez le répondant.

  • Que doit faire sa partenaire Percaline ?
  • 2) Roublard est-il toujours innocent quand il se trompe ? Difficile à dire. En tout cas, l'adversaire se pose des questions après ce début d'enchères:
    • Sud: 1
    • Roublard en Ouest: Stop, 2

  • Ce « stop » superflu est-il bien gênant ? Qu'en pensez-vous ?
  • 3) Pas de doute en revanche envers la scrupuleuse honnêteté de Mme Lefranc. Pourtant ici, en Nord, elle aussi utilise inutilement un stop :
    • Sud: 1
    • Ouest: Stop 2
    • Nord: Stop 3

  • Ce « stop » involontaire est-il répréhensible ?
  • 4) Mme Chipie est souvent agaçante, mais elle n'est pas tricheuse ! Aussi prend-elle très mal la remarque de M. Vautour après cette annonce :
    • Stop... (réflexion)... Heu, non... 1 !
    • Puisque vous râlez encore, dit son adversaire, on va voir ce qu'en pense Courtois... Arbitre !

  • À votre avis ?

    II - Le règlement

    Quand l'arbitre devrait-il intervenir ? La Loi 16A dit:
    Si,
  • par une remarque, (toujours volontaire), une question, (au partenaire, ou à l'adversaire, qu'elle soit surprenante, ou légitime), une réponse à une question, (même bonne),

  • une hésitation flagrante, (même involontaire) une rapidité inhabituelle, (toujours volontaire) une insistance particulière, une intonation, un mouvement, un maniérisme(comme un geste du mort)

  • ou l'équivalent, (comme par un Stop ou par une Alerte)

  • un joueur rend perceptible à son partenaire une information illicite pouvant suggérer une déclaration ou un jeu, celui-ci n'est pas autorisé, parmi les différentes possibilités logiques d'actions, d'en choisir une qui aurait pu indiscutablement avoir été suggérée, plutôt qu'une autre, par cette information illicite.
    (on retrouve le même esprit dans d'autres lois et en particulier la Loi 73A2)
    Sévère, non ? Cela veut dire qu'en club vous devriez appeler souvent l'arbitre : à la moindre hésitation, la moindre grimace, ou même un ton inhabituel. Avant de vous décider à sortir systématiquement le couteau, examinons les différents cas où peut s'appliquer cette loi.

    III - Les différentes situations

    1 - Informations illicites volontaires

    A - Une remarque
    Sud Roublard Nord Est
        Passe 1
    3 Contre !
    Au moment où il pose son carton sur la table, Roublard dit à l'adversaire, connu pour ses barrages "dynamiques" : " Cette fois tu vas payer! ".
    Même s'il nous prouve que dans son système le contre est toujours punitif à partir du niveau de 3, cette remarque inacceptable donne une indication irrégulière au partenaire : " Tais-toi, il va chuter lourdement! ". L'arbitre devra agir fermement (même si Roublard n'a pas conscience de commettre une grave irrégularité: " On s'amuse, on est entre amis, et on parle, c'est normal, non ? ").
    B - Une question... au partenaire
    Mme Chipie, ouvreur, joue avec un nouveau partenaire et, après une longue réflexion, elle lui demande: " Vous jouez le Carreau quatrième ou la meilleure mineure ? " Fabuleux! Avant la moindre annonce, elle a réussi à décrire sa main, ce qu'elle n'aurait pas pu faire en trois tours d'enchères : elle a quatre Piques, quatre Coeurs, trois Carreaux et deux Trèfles (sans quoi la question ne se justifierait pas - voir le Bridgeur, rubrique arbitrage, juin 2002 : Carreau par quatre ou meilleure mineure).
    C - Une question... à l'adversaire
    Même question, mais cette fois à l'adversaire après qu'il a ouvert de 1. L'expérience montre que, bien souvent, l'auteur de cette question possède les Trèfles. Or, cette question ne se justifie pas : l'ouvreur est censé posséder trois cartes à Trèfle, du moins dans son système, tant que cette ouverture n'est pas alertée. Et si l'ouverture est 1 ? La situation est plus complexe puisque certains adeptes du Carreau par quatre n'alertent pas cette ouverture (voir même article). L'arbitre examinera :
  • Si la question est injustifiée. Si le but évident est de donner une indication illicite au partenaire, il agira sans complaisance.

  • Même si la question est parfaitement légitime, elle peut donner une indication et la Loi 16 peut éventuellement s'appliquer.
  • D - Une rapidité inhabituelle
    Vous êtes surpris que je classe en "volontaire" la hâte excessive et pas l'hésitation ? C'est qu'en principe un joueur qui hésite ne le fait pas exprès alors qu'un joueur qui passe trop vite n'a aucune excuse. Exemple:
    Sud Roublard Nord Est
        1 Contre
    2 Passe !
    Qui n'a pas compris que roublard n'a strictement rien ? " Je ne vais pas faire semblant d'hésiter! ", s'insurge Roublard, pris à partie. Bien sûr que non, mais vous devez toujours garder un tempo raisonnable dans les annonces, même (ou surtout) si vous n'avez rien à dire. C'est peut-être une surprise pour beaucoup de joueurs de club (pas pour ceux qui ont lu Bridgerama de mai 2003) mais la Loi 16A peut parfaitement s'appliquer ici, ainsi que dans beaucoup de cas similaires : passe immédiat après un barrage ou une intervention gênante (exemple par 1 SA).
    E - Insistance, intonation, maniérisme (grimace, attitude expressive montrant un réel problème) ou mouvement.
    Comment un simple mouvement peut-il être répréhensible ?
  • Pendant les annonces, un geste d'agacement par exemple.

  • Mais ceci vise aussi les morts trop actifs: main se dirigeant spontanément vers une carte maîtresse, telle une 13ème affranchie dont on craint qu'elle soit oubliée.
  • 2 - Informations illicites involontaires

    Il est évident que l'immense majorité des joueurs de bridge est parfaitement honnête. Pourtant, parce que personne ne le leur a expliqué ou parce que le manque d'expérience ne leur permet pas de prendre spontanément la bonne décision, certains n'ont pas toujours une tenue de table irréprochable.
    A - Une remarque, une question...
    Le début des enchères ne semble pas concerner Roublard (en Est), qui passe négligemment jusqu'au troisième tour avec:
    Sud Ouest Nord Roublard
        1 Passe
    1 Passe 2 Passe
    2 Passe 3 * !
    Cette dernière enchère étant alertée, Roublard s'informe ostensiblement, mais légitimement, puisque c'est son tour d'enchère. " Quatrième forcing ", lui annonce-t-on... Et les enchères continuent jusqu'à 6 Piques. Entame du 8 de Coeur, le Roi en Nord, une de chute (alors que le contrat gagne sur une autre entame). Il n'a rien à se reprocher: " je me suis informé normalement et ce n'est pas ma faute si l'adversaire demande un chelem avec deux perdantes immédiates ".

    En êtes-vous bien sûr? Il a manifesté un désintérêt total jusqu'à ce que l'on parle des Coeurs et là, brusquement, il se réveille : le partenaire n'a-t-il pas trop bien compris le message? Bien sûr, il a toujours le droit de s'informer, pourtant sa question est-elle justifiée ? S'il voulait contrer pour indiquer ses Coeurs, on comprendrait, mais ici, que ce soit ou non naturel ne l'intéresse pas, il passera de toute façon.

    Que devait-il faire pour être irréprochable ? D'abord, ne jamais se désintéresser des annonces, même avec zéro point, passer toujours sans aucune hâte, à un rythme normal. Ensuite, dans ce cas, ne pas poser la question, en tout cas pas en attirant l'attention à ce moment-là : il est clair qu'à moins de contrer pour l'entame, la signification l'indiffère. Enfin, il sait parfaitement que c'est une quatrième forcing (s'il avait vraiment les Coeurs, Nord les aurait annoncés au deuxième tour). Il aurait toujours été temps de le vérifier s'il avait été à l'entame.

    Pour toutes ces raisons, si j'étais appelé en arbitrage, je pourrais corriger le coup au cas où l'entame ne serait pas évidente (néanmoins, ce n'est pas un arbitrage facile, d'abord parce que l'entame vient bien avec la séquence d'enchères et ensuite parce qu'il y a sans doute effectivement un problème d'annonces, surtout après avoir été prévenu du danger par Roublard... Mais tout ceci n'excuse pas sa mauvaise tenue de table).
    B - Une hésitation...
    C'est vraiment un sujet qui provoque discussions et heurts dans certains clubs, alors soyons clairs:
  • Bien sûr qu'il n'est pas interdit à un joueur, à condition que ce soit involontaire, de marquer une hésitation face à une situation difficile : nous ne sommes pas tous des champions.

  • Non, il n'est pas forcément interdit au partenaire de parler, même après un passe de l'indécis : il peut le faire s'il a une enchère évidente.

  • Pourtant, attention ! Si l'hésitation, même parfaitement justifiée, même totalement involontaire, donne une indication au partenaire, celui-ci n'a pas le droit d'en tenir compte.
  • En cas de doute, ne pas hésiter à appeler l'arbitre, non pas pour sanctionner, mais pour analyser la situation et rétablir l'équité.
    C - ... ou l'équivalent.
    Qui n'a jamais vu ce début de séquence en club
    Sud Ouest Nord Est
        1 Stop 2SA*
    Stop 3 !
  • " Vous n'avez pas besoin de Stop ", faites-vous remarquer poliment.
  • " Oh! Excusez-moi ", vous répond-on d'un air confus.

  • Trop tard, le mal est fait. Bien entendu, comme vous êtes particulièrement fair-play, vous n'appelez pas l'arbitre pour cette erreur bien involontaire et sans véritable conséquence. Pourtant, tout le monde a bien compris que Sud a réellement son enchère et qu'elle n'a pas été un peu forcée à cause du barrage. Un peu frustrant, non ? Surtout si ceci se produit souvent.

    3 - Une attitude irréprochable... et pourtant une information non autorisée

    A - Une remarque, une question...
    Saitout ouvre de ISA. Madame Lefranc regarde son jeu, recompte ses points, puis pose la question: " Vous jouez toujours le SA 15+ / 18 ? " Après acquiescement, elle passe. Y a-t-il une irrégularité ? Aucune! Saitout est connu pour ses conventions originales et l'adversaire a parfaitement le droit, à son tour d'enchère, de se renseigner. Pourtant, qui n'a pas compris que M. Lefranc avait des points ?
    Après un réveil douteux de son partenaire, et en cas de résultat favorable, l'arbitre pourrait décider de rectifier la donne : " Il a pu incontestablement être influencé par la question de sa partenaire ", même si cette question est régulière.
    B - ... une réponse à une question ...
    Oups joue pour une fois avec Chipie qui, en première position, passe. Après l'ouverture adverse de 1, il annonce 2, alerté par sa partenaire. Interrogée, elle répond : " les majeures (zut, il a oublié!) ", puis annonce 2. A-t-il le droit de dire 3 avec cette main ? Elle devrait comprendre...
    9
    10 7 2
    A D V 5 4 2
    8 3 2
    Non! jusqu'ici, l'équipe est irréprochable:
  • On n'est pas coupable de ne pas respecter une convention, que ce soit ou non volontaire.
  • La convention a été normalement alertée et expliquée.

  • Mais que signifierait 2 sans l'information de Chipie? " Nette préférence pour les Coeurs par rapport aux Carreaux ". Rien ne justifie alors que le professeur reparle... en tout cas pas à Carreau.
    C - ... ou l'équivalent
    Maintenant, admettons que Chipie n'ait pas été interrogée: elle a alerté et personne n'a rien demandé. Pourtant, la situation n'est pas vraiment différente : le fait même d'avoir alerté peut réveiller Oups et lui rappeler la convention oubliée.

    C'est un point souvent mal compris des joueurs qui ne sont pas habitués à la compétition :
  • Je me suis trompé de toute bonne foi (en fait, aucune importance, c'est votre problème - voir plus haut B).
  • Mon partenaire a alerté et expliqué correctement notre méthode, la feuille de convention le prouve (parfait!).
  • Alors, maintenant, je peux continuer mes annonces normalement et essayer de rattraper le coup.

  • Attention ! Jusque-là, il n'y avait rien à dire, mais vous avez reçu une information illicite : l'alerte de votre partenaire. Même si personne ne demande rien, vous savez que vous ne vous êtes pas compris : c'est cette information qui est interdite ! Ceci peut même aller plus loin, l'absence d'alerte peut parfois être révélatrice :
    A 9 8 7 2
    A 10 4
    5
    R 10 9 4
    En première position, vous décidez de passer. Votre partenaire ouvre de 1 et vous faites un Drury: 2 ... Il n'alerte pas et dit 3 (soutien limité, dans votre système, si 2 avait été naturel). Pour que les choses soient claires, vous dites 4, avec la conscience tranquille.

    Et pourtant ! Si 2 avait été normalement alerté et compris comme artificiel, ne me dites pas que vous n'auriez pas eu des velléités de chelem avec tous les contrôles, un magnifique double fit présumé et une main supposée puissante chez votre partenaire
    (Vous n'êtes pas convaincu ? Alors pourquoi avoir fait un Drury ? Certainement pas pour vous arrêter en route - à moins de soupçonner votre partenaire de psychique ? - mais bien parce que vous avez un espoir de chelem. Pourquoi freiner maintenant après une réponse sensée être très positive ?).
    L'absence d'alerte est ici une information illicite et vous auriez certainement développé les enchères si vous n'aviez pas su - illégitimement - que 3 limitait la main.

    IV - Et nos quatre exemples ?

    Même si vous aviez un doute, à serait maintenant dissipé: vous savez que la Loi 16A s'applique dans chacun de ces cas.
  • 1 - stop 2 en intervention
  • C'est sans doute un cas où, au moins en club, la majorité des joueurs cherche la conciliation et accepte une déclaration de remplacement, conformément à la Loi 25B1.
    Pourtant, si l'adversaire passe avant que le professeur ne réagisse (comme lors de cet incident réel, où l'adversaire n'admit pas le droit à l'erreur), les annonces continuent et sa partenaire doit faire comme si 2 était naturel : Percaline a été prévenue par le stop. Espérons qu'elle a une enchère, ce qui pourrait permettre au professeur de se rattraper au prochain tour. Sinon, il risque dejouer 2 Trèfles !
  • 1 - stop 2 en intervention
  • Le stop donne deux informations illicites:
  • Il s'agit bien d'une enchère de barrage,
  • Avec sûrement six cartes à Coeur.

  • Nous sommes tout à fait dans le cadre de la Loi 16A.
  • 1 - 2 - stop 3
  • Il s'agit à l'évidence d'une étourderie et pourtant une indication est donnée : " J'ai vraiment mon enchère! ". Si l'arbitre est appelé, en fonction de la suite des annonces, il vérifiera si la Loi 16A n'est pas applicable.
  • Stop... heu non, 1 !
  • Là, le message irrégulier n'est pas encore évident :
  • Hésitait-elle à ouvrir d'un 2 faible ?
  • Ou au contraire d'un fort indéterminé ?

  • Pourtant, dès le deuxième tour, la situation s'éclaircira. Il n'est pas impossible qu'une information illicite puisse être ainsi donnée (en revanche, Vautour ne devrait pas appeler immédiatement l'arbitre, mais nous verrons ça la prochaine fois).

    V - Résume

    Nous n'avons le droit d'informer notre partenaire qu'avec nos annonces puis, à la carte, avec nos appels ou autres conventions. Pourtant, parfois, même de façon tout à fait correcte, une information non autorisée nous est donnée par notre partenaire : hésitation, question, remarque, mimiques, alerte surprenante, stop superflu, explication bonne ou mauvaise - sur vos enchères.
  • 1. Nous ne sommes pas privés de parole pour autant.
  • 2. En revanche, nous n'avons pas le droit de tenir compte de cette information, même si elle est parfaitement involontaire.
  • VI - Que doit-on faire alors ?

    De notre côté, il faut agir comme si cette information illicite n'existait pas.
    Et si nous avons l'impression que l'adversaire n'a pas cette rigueur ? En principe, il faudrait appeler l'arbitre mais alors que d'appels possibles en club ! Comment concilier la défense de vos intérêts avec votre sens de l'éthique ?
    Nous verrons cela plus en détail la prochaine fois, avec la fin de la Loi 16A.
    À suivre ...