ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Christian BURGUET - Bridgeur n° 740 - mai 2001

Respectez le STOP !


Christian Burguet, arbitre fédéral
 


En mettant en scène divers exemples vécus, notre arbitre vous familiarise avec l'emploi d'une règle que chacun doit connaître.


 

Un nouveau joueur s'est présenté dans le club. C'est la première fois qu'il joue en tournoi.
Ici l'ambiance est conviviale, pourtant il n'est pas facile de trouver un partenaire aux débutants. Vous avez repéré que monsieur Ronchon et madame Chipie, qui d'ordinaire se supportent difficilement, se sont lancé un coup d'oeil complice et se sont découverts un engagement réciproque ; tout est bon pour éviter de jouer avec un néophyte.
Qu'importe, vous êtes seul ce soir et comme votre fair-play est légendaire, vous lui proposez de jouer avec vous. Tant pis, pour une fois vous ne gagnerez pas, l'important c'est d'avoir un partenaire agréable.
Votre geste est récompensé : ce n'est pas un débutant mais un joueur de partie libre, apparemment d'un très bon niveau. S'il a quelques lacunes au niveau des annonces modernes, il semble posséder un grand sens du jeu et une bonne présence à la table.
Mais quelque chose le déroute : ces petits bouts de carton dont nous nous servons. S'il a vite compris le principe général, il ne sait pas encore très bien à quoi servent les "Stop" et les "Alerte". Il a demandé à trois joueurs de lui expliquer et il a reçu à chaque fois trois versions différentes.
Heureusement, vous êtes habitué aux tournois et vous allez pouvoir lui préciser tout ça. Mais avant, si vous testiez vos connaissances pour être sûr d'être bien au top ?
Voici d'abord, afin d'avoir un éventail des idées reçues, les réponses à chacune des grandes questions sur le "Stop" par :
  • Monsieur Courtois qui joue le rôle d'arbitre en cas d'absence (comme aujourd'hui) de l'arbitre officiel. (Attention, c'était avant qu'il ne passe son examen d'arbitre de club... et il avait beaucoup de lacunes).
  • Monsieur Saitout, le "champion" local qui, bien que relativement jeune, est certain de connaître le règlement parce qu'il a fait beaucoup de compétitions (qu'il aurait sûrement gagnées "s'il avait des partenaires à la hauteur !" ).
  • Et monsieur Ronchon, que nous connaissons déjà, très retors et pas toujours facile à vivre.

  • À chaque fois l'un des trois a (plus ou moins) raison. Essayez de déterminer lequel.

    Les grandes questions

    1) À quoi sert le Stop ?

  • -Courtois : Ça sert à attirer l'attention du partenaire sur un saut."
  • -Saitout : "Pas du tout, c'est pour prévenir l'adversaire, pour éviter qu'il fasse une enchère insuffisante, ce qui était très fréquent avant cette procédure."
  • -Ronchon : "Le Stop ? C'est un truc inventé il y a une vingtaine d'années, soit-disant pour uniformiser le temps de réflexion." (Il ronchonne : "De toute façon, ça ne marche pas !").
  • 2) Comment l'utiliser ?

  • -Courtois : "Vous le posez sur la table avant votre enchère. Puis après quelques secondes vous le retirez ; alors seulement l'adversaire a le droit de parler."
  • -Saitout: "Faux! Je suis d'accord avec le début, mais on a le droitde parler après un temps raisonnable, même si le carton est un peu trop longtemps oublié."
  • -Ronchon : "Moi ça m'agace ce truc-là, alors souvent je l'oublie ou je le mets après; avant ou après c'est pareil!"
  • 3) Et si j'oublie de mettre le Stop, puis-je être pénalisé ?

  • -Courtois : "Bien sûr, si l'adversaire appelle l'arbitre, des sanctions peuvent être appliquées ; mais ici nous ne donnons qu'un avertissement."
  • -Saitout : "Mais non ! D'ailleurs quelles sanctions ? Par contre, après l'oubli d'un Stop, si l'adversaire fait une faute, par exemple une enchère insuffisante ou une très longue réflexion abusivement comprise par le partenaire, aucune pénalité ne peut plus être appliquée."
  • -Ronchon : "Et puis quoi encore ? Moi ça m'arrive de l'oublier ce machin ! Tout juste l'arbitre peut-il, à la rigueur, être plus indulgent avec l'adversaire qui aurait parlé trop vite..." (il maugrée encore: "Comme de toute manière personne ne le respecte...")
  • 4) Si l'adversaire ne respecte pas le Stop, peut il être sanctionné ?

  • -Courtois : "Bien sûr, si son attitude a donné une indication illicite au partenaire, qui pourrait en avoir tenu compte, par exemple s'il a parlé trop vite, s'il a passé trop vite, ou s'il a quand même réfléchi longtemps avant de passer. Dans ce dernier cas, je vérifie toujours si le réveil du partenaire est évident..."
  • -Saitout : "C'est plus grave que ça, s'il a trop réfléchi, le partenaire est privé de parole !"
  • -Ronchon : "Ils disent n'importe quoi comme d'habitude! C'est vrai qu'on n'a pas le droit de parler tant qu'il ya un Stop, mais il y une exception évidente: si le Stop n'est pas respecté par un joueur qui passe, aucune pénalité ne peut être appliquée."
  • 5) Et l'emploi abusif ou incorrect du Stop peut il être sanctionné ?

  • -Courtois : "Oui, c'est rare mais possible, si cet emploi abusif, ou incorrect, donne une indication illicite au partenaire."
  • -Saitout : "Pas uniquement, le règlement prévoit plusieurs cas précis, il suffit de le lire. On est trop gentil dans les clubs.
  • -Ronchon : "Certainement pas ! Ce serait quand même un comble qu'un joueur puisse être pénalisé parce qu'il s'est trompé et a mal utilisé le Stop, vous n'avez rien compris ou quoi !".
  • <3>Les vraies bonnes réponses Le Stop est un carton extraordinaire, il a été inventé pour une raison précise, que beaucoup de joueurs ignorent, son but était de corriger une irrégularité et il est parfois à la source d'autres anomalies. Enfin, le non respect par l'un des camps peut être pénalisé et c'est souvent l'autre camp que les ignorants voudraient voir sanctionné.
    Les anciens joueurs devraient savoir. Ils ont, en tout cas, pu lire l'article de Philippe Lormant dans Le Bridgeur du 15 octobre 1991. Pour les nouveaux, ainsi que pour messieurs Courtois, Saitout et Ronchon nous allons entrer dans les détails.

    Pour illustrer l'utilité du "STOP"

    Quoi de plus déroutant qu'un barrage ? Les annonces commencent à un palier très élevé et certains n'ont aucun système de défense précis. Le contre est-il punitif ? Quelles sont les règles d'intervention et de réveil ? Ça dépend! De quoi? C'est une question de circonstances, d'intuition! C'est-à-dire ? Comment fonctionne, par exemple, l'intuition de Ronchon ?

    Premier exemple

    Sud ouvre de 3 . Ouest hésite très longuement, puis passe. Ronchon en Est relève ce jeu "agréable"
    A 9 8 2
    D
    V 10 4 2
    R 7 5 2
    Il réveille par contre bien sûr, c'est évident. D'après les annonces son partenaire a forcement des points ! Mais non, l'hésitation ne change rien ! En plus, il a une distribution idéale! Personne ne va lui reprocher son réveil, quand même ?

    Deuxième exemple

    Sud ouvre de 3 . Ouest passe immédiatement. Ronchon en Est relève ce jeu "sans intérêt"
    A 9 8 2
    D
    V 10 4 2
    R 7 5 2
    Il passe, bien sûr, c'est évident, 10 points dont 2 qui ne valent rien, on ne va pas réveiller au niveau de 3 avec peut-être 17 ou 18 points dans la ligne ! Le fait que le partenaire ait passé vite (d'ailleurs, il ne l'a même pas remarqué!) ne change rien, On ne va quand même pas lui reprocher d'avoir fait une annonce évidente ?
    Y a-t-il irrégularité ? Bien sûr, mais pas parce que Ouest a hésité ou parlé trop vite, ceci n'est pas interdit. En revanche, il est interdit à son partenaire d'en tenir compte (loi 16A du code international).
    Cette loi est parfois mai respectée dans les clubs et il n'est pas évident pour l'arbitre de se faire comprendre : croyez-vous facile de pénaliser Ronchon, sûr de sa bonne foi ? Et pourtant...
    Voilà, si vous ne le saviez pas déjà, vous commencez à comprendre pourquoi on a inventé le Stop. Jadis, lorsque vous faisiez un barrage, son efficacité était très atténuée par l'attitude du joueur suivant : on comptait parfois le nombre de ses points en fonction des secondes d'hésitation. La décision du réveil était facilitée.
    Ceci était déjà une grave infraction, tant envers la loi 16 qu'envers la loi 73.
    Loi 73 A-2 début : les déclarations et le jeu devraient être faits sans insistance, ni maniérisme ni accentuation, et sans hésitation ni hâte excessives...
    Pourtant, même les joueurs les plus scrupuleux peuvent être perturbés par un barrage et contraints à réfléchir, puis à passer. Le partenaire doit-il être privé de parole ? Non, la pause obligatoire, imposée par le "Stop", atténue ce problème.

    1) A quoi sert le Stop ?

    Une pause est obligatoire après toute enchère à saut, même si nous n'avons rien à dire. De cette manière, le temps de réflexion reste sensiblement le même et le partenaire n'a a pas d'information illicite. Le Stop est simplement là pour nous le rappeler.
    C'est donc Ronchon qui est le plus près de la vérité. Au moins pour le début de son explication: " Uniformiser le temps de parole'. Mais s'il est vrai que parfois l'irrespect total du Stop par l'adversaire lui fait perdre toute efficacité, il appartient aux arbitres d'expliquer et de faire appliquer correctement cette utile procédure.

    2) Comment l'utiliser ?

    Art. 58A du règlement national: Avant toute enchère à saut, y compris à l'ouverture, le joueur doit poser sur la table, face visible, le carton Stop.
    Après toute enchère à saut, radversaire de gauche doit respecter une pause de 5 à 10 secondes, que le carton Stop ait ou non été exposé et qu'il ait ou non été retiré...

    Cette fois c'est Saitout qui a raison, ce n'est pas à l'adversaire de vous imposer votre temps de réflexion. (Cependant, attendre que l'adversaire ait retiré son Stop est un bon moyen d'atténuer les litiges).
    Quant à savoir s'il est grave de ne le mettre qu'après, évitons de laisser croire que nous suivons les méthodes de Monsieur Grand-Chacal:
  • - Sud ouvre de 2 (forcing manche)
  • - Longue réflexion (?!) de Grand-Chacal en Nord, puis Stop 3
  • - Sud: 3SA.
  • - Nord (agacé): 4 suivi de Stop! - Sud: 4 SA.
  • - Nord (violent) : 6 suivi de Stop, claqué sur la table! (si son partenaire n'a pas compris qu'il ne voulait jouer qu'à Coeur il ne comprendra jamais!).

  • Ce joueur est malhonnête et mérite de lourdes sanctions. Ce n'est évidemment pas le cas habituel des joueurs néophytes qui mettent le Stop après. Mais ne laissons pas planer le doute ou la suspicion et respectons la procédure : le Stop doit être posé avant l'annonce à saut.

    3) Si j'oublie le Stop, puis-je être pénalisé ?

    Suite du 58A:... Le fait de ne pas utiliser le carton Stop peut compromettre les droits d'un joueur dont l'adversaire de gauche n'aurait pas respecté une pause consécutive à une enchère à saut...
    C'est clair, il n'y a pas de pénalité applicable pour absence occasionnelle de Stop. Courtois a tort (sauf si cette omission est habituelle, car le Stop reste obligatoire).
    L'adversaire reste pénalisé s'il commet une infraction (Saitout se trompe).
    C'est Ronchon qui connaît la solution, l'arbitre peut être indulgent avec un adversaire qui aurait passé trop vite après une enchère à saut non précédée d'un Stop.

    4) Si l'adversaire ne respecte pas le Stop, peut-il être sanctionné ?

    Courtois a parfaitement raison: l'information transmise par une annonce trop rapide ou une hésitation, est illicite.
    Tout comme Saitout, beaucoup de joueurs croient que le fait d'hésiter longuement avant de passer prive le partenaire de parole. Pas forcément: lorsque l'enchère du partenaire aurait de toute évidence été la même sans l'hésitation, il n'en est pas privé (s'il y a le moindre doute, il est vivement recommandé d'appeler l'arbitre).
    Quand au passe trop rapide, absout par Ronchon, c'est justement ce que veut éviter le Stop : il est totalement irrégulier.
    Par exemple, l'absence de Stop et le passe trop rapide peuvent empêcher le partenaire de faire un mauvais réveil et l'arbitre devrait rétablir le coup comme si ce réveil avait été fait.

    5) Et l'emploi abusif ou incorrect du Stop peutil être sanctionné ?

    Ce genre d'erreur n'est pas automatiquement sanctionnable. Ronchon aurait-il alors raison? Non, il se trompe, tout comme Saitout, c'est Courtois qui vous donne la réponse. Fin du 58A : ces actions peuvent toutefois transmettre une information illicite et donc tomber sous le coup une autre loi, la loi 16.
    Comment une information illicite peut-elle être donnée ? Suivons, par exemple, les rencontres de monsieur Vautour et de madame Chipie:
  • - Est: 1
  • - Vautour, en Sud: Stop , 2 SA (alerté).
  • - Chipie en Ouest (sans hésiter) : Stop 3 ... et 4 chez sa partenaire.

  • Vautour est agacé par ce Stop inutile, qui donne au partenaire l'idée d'une enchère à saut. Il ne dit rien à la table mais en discute ensuite avec l'arbitre. Courtois se montre très conciliant : "Oh, c'est une paire très faible, elles ne savent pas très bien...".
    Mais le lendemain:
  • - Est: 1
  • - Vautour, en Sud: Stop 2SA.
  • - Chipie en Ouest, réflexion puis : 3 suivi de... passe chez sa partenaire!
  • - Vautour: "C'est bien, aujourd'hui vous n'avez pas mis inutilement le Stop"
  • - Chipie : "C'est normal, je n'ai pas les points !"

  • Puis elle rajoute naïvement: "En faisant comme ça, on n'est plus embêté par les barrages ! En effet, cette fois, en ne mettant pas de Stop inutile, elle a convoyé le message qu'elle faisait une enchère au palier minimum, sans saut...

    Le rôle de l'arbitre de club

    Les anecdotes de Grand-Chacal et de madame Chipie mettent en évidence l'importance de l'arbitre.
    D'abord, il doit veiller au respect des lois, car les infractions, même si elles sont, dans l'immense majorité des cas innocentes (heureusement), ont souvent des conséquences.
    Ensuite, et c'est important, il doit informer (sinon qui le fait ?).
    Dans ces deux exemples, les joueurs utilisaient la procédure du Stop pour commettre des irrégularités qui, dans le 2ème cas, étaient même, de toute bonne foi, érigées en système.
    Il n' est pas facile de régler le problème de Grand-Chacal, même avec de bonnes sanctions. Il est facile de régler celui de Chipie: il suffit d'une bonne explication.