ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Christian BURGUET - Bridgeur n° 737 - février 2001

Jeu de lois


Christian Burguet, arbitre fédéral
 


Aujourd'hui, Christian Burguet soumet à votre jugement quatre problèmes de renonce. À travers les aventures de Courtois, Ronchon et Vautour, des personnages hauts en couleurs comme vous en rencontrez tous à la table, vous découvrirez en vous amusant certains aspects méconnus du règlement.


 


La leçon a porté ses fruits, et monsieur Courtois, après un stage intensif, a passé avec succès l'examen d'arbitre de club.
Le tournoi se développant, il est maintenant divisé en deux. Les donnes sont duplicatées et on lui confie l'arbitrage de la moitié des tables, sachant qu'il peut faire appel à monsieur Loyal, l'arbitre habituel, en cas de besoin ou en cas de litige.
Vicieusement, monsieur Vautour, de retour parmi nous, s'est placé dans la partie arbitrée par monsieur Courtois. L'affrontement promet d'être sérieux, d'autant que le partenaire de Vautour est aujourd'hui monsieur Ronchon, un « ancien », persuadé de bien connaître le règlement et qui a rarement bon caractère. De plus, le nouvel arbitre, tout récemment officialisé, ne se sent pas encore très sûr de lui.
Pouvez-vous aider l'arbitre, monsieur Courtois, dans sa tâche, et dire qui a raison dans les quatre problèmes suivants ?

Problème N° 1

Comme Courtois le craignait, le premier appel émane de la table de Vautour. Il joue contre madame Chipie, très à cheval sur les principes.
À cinq cartes de la fin, Chipie a chuté de deux et elle pourrait tabler, ce que Vautour sait parfaitement, mais elle continue à jouer lentement, et méthodiquement, chaque carte.
Agacé par une continuation qu'il juge inutile, il jette indifféremment ses cartes: un Pique sur les Trèfles, puis plus tard un Trèfle sur les Carreaux, alors qu'il lui reste un Carreau.
« Deux renonces! Arbitre! »
Même s'il lui déplait de donner raison à Vautour, d'autant qu'il le soupçonne, sans pouvoir le prouver, de l'avoir fait exprès, Courtois annonce qu'il n'y a aucune pénalité, aucun pli n'ayant été réalisé par le camp fautif depuis le moment où il a commencé à faire des renonces. Chipie conteste violemment : il y a deux renonces et l'arbitre doit appliquer strictement le règlement, il n'a pas à interpréter!

Qui a raison ?

a. Pas de pénalité (avis de Courtois)
b. Deux renonces pénalisables (avis de Chipie)
c. Une solution intermédiaire: une seule renonce sanctionnable.

Problème N° 2

Pas besoin de crier trop fort pour appeler l'arbitre, puisque le litige se passe à la table où il joue lui-même (comme cela arrive fréquemment, l'arbitre participe au tournoi en tant que joueur).
Affrontement Ronchon - Courtois:
A V 3 2
R D 3
V 5
A V 6 2

N

O             E

S

9 4
4
A R 8 7 4 3 2
8 4 3
Courtois, en Ouest, joue 3 SA.
Après avoir reçu l'entame du 5 de coeur, qu'il a pris de la Dame, il se rend compte qu'il n'a besoin de réaliser que six levées de carreau pour réussir son contrat. Il pourrait prendre une bonne assurance en donnant un coup à blanc, mais il a peur d'un retour mortel à coeur.
Quand il joue carreau, Ronchon, e, Nord, et la Dame; il n'y a plus aucun danger, et le contrat est inchutable en laissant la Dame faire la levée. Mais le déclarant ne le voit pas. Il cherche les Carreaux 2-2, ce qui est le cas.
Seulement voilà, Ronchon, qui croyait avoir la Dame sèche, ne fournit pas au deuxième tour. Le déclarant a l'illusion d'un mauvais partage et abandonne donc les Carreaux. Sur un excellent flanc, Courtois se retrouve à la fin du coup à quatre de chute.
Pour l'instant, une autre table réalise 3 Sans-Atout égal (abandon d'un Carreau par sécurité) et tirer les Carreaux en tête, comme l'a fait Courtois, aurait dû conduire à une excellente note (630). Courtois affirme que la renonce l'a lésé de... cinq levées !
Il décide de marquer 3 Sans-Atout plus un.
Ronchon conteste: « D'abord, votre ligne de jeu est abominable! Ensuite, vous ne pouvez en aucun cas bénéficier de plus de deux levées de pénalité, même si c'est parfois injuste, c'est le règlement ! je connais même des joueurs vicieux qui font exprès de faire une renonce, acceptant de payer le prix (deux levées) quand il savent que cela leur coûtera moins ! »

Qui a raison ?

a. Ronchon (deux levées de transfert, le maximum prévu par le code, donc 3 Sans-Atout moins deux).
b. Courtois (cinq levées, pour 3 Sans-Atout plus un).
c. Existe-t-il une troisième solution qui consiste à rétablir la logique du contrat (quatre levées, pour 3 Sans Atout égal) ?
Et que pensez-vous de l'anecdote racontée par Ronchon?

Problème N° 3

« Ce doit être la loi des séries », pense Vautour, car il joue, en Ouest, un 3 Sans-Atout tout à fait similaire à celui de la donne précédente:
A 6 5
A D 2
A R 8 7 2
9 5

N

O             E

S

8
5 3
5 4 3
A R 7 6 4 3 2
Cette fois, il n'a pas trop le choix car l'adversaire a trouvé la bonne entame (Pique). Donner un coup à blanc à Trèfle conduit irrémédiablement à la chute. Il tire donc As-Roi en tête, espérant les Trèfles 2-2, ce qui n'est malheureusement pas le cas.
Au premier tour de Trèfle, Sud, qui avait en réalité le Valet sec, ne fournit pas. Le déclarant prend de l'As et, ayant réussi l'impasse à Coeur, finit par chuter de deux levées. Arbitre!
Après analyse de la situation:
Le partenaire du fautif a fait la Dame de Trèfle.
Le contrat chute toujours au moins de deux après cette entame.
L'arbitre accorde ... une levée de pénalité: 3 Sans-Atout moins un, pour une assez mauvaise note.
La majorité des Nord ayant entamé à Coeur, 3 Sans Atout gagne alors sans problème après un coup à blanc à Trèfle.
Aucun des deux camps n'est vraiment satisfait, Nord Sud estiment que la renonce ne change rien. Quant à Ronchon, il est furieux: « il y a vraiment deux poids deux mesures dans l'arbitrage et la preuve est flagrante! »

Qui a raison ?

a. L'arbitre, qui a accordé une levée de transfert (3 SansAtout moins un) ?
b. Le déclarant, qui estime qu'on aurait dû appliquer le règlement et donc lui accorder deux levées de pénalité dans ce cas (3 Sans-Atout juste fait, comme à la plupart des tables).
c. Personne, car il doit maintenir le score de 3 Sans-Atout moins deux.

Problème N° 4

Le ton monte à la table entre Ronchon et les Nord-Sud et, bien qu'il ait gardé le silence, c'est Vautour qui se fait agresser: « Il y a toujours des problèmes à votre table. »
À la donne suivante, Vautour joue, toujours en Ouest, 6 Coeurs contré (avec un fit 12ème !, en défense contre un 6 Carreaux audacieux.
D 7 3
A R D 10 9 6 5 4
5 2

N

O             E

S

R V 4 2
V 8 3 2
5 4
9 8 4

Entame: Carreau.
Au premier tour d'atout, les adversaires sont décidément très distraits, ou énervés, car aucun ne fournit. Vautour sait parfaitement qu'il y a une renonce, mais il ne dit rien. Il repart Pique pour le Roi et l'As adverse. L'adversaire rejoue Carreau (« pour ne rien donner! »).
Quand, plus tard, Vautour présente le treizième Pique maître du mort (la couleur étant répartie 3-3), le flanc droit coupe. Arbitre !
Après les explications de Courtois, Vautour défausse un de ses Trèfles perdants plutôt que de surcouper.
Le flanc a réalisé trois levées : un Coeur, l'As de Pique et un Trèfle. Résultat: 6 Coeurs moins deux.
« Deux levées de pénalité, 6 Coeurs égal ! », annonce alors Courtois, sous les protestations indignées des Nord-Sud qui marquent ainsi un zéro international. « Pour une fois, vous êtes intelligent! », dit Ronchon.

Qui a raison ?

a. Courtois, l'arbitre qui a rectifié à 6 Coeurs égal.
b. Il aurait du rétablir l'équité, deux de chute étant absolument évident.
c. Il aurait même pu aller plus loin, il est en droit de sanctionner Vautour qui a continué à jouer, alors qu'il avait vu que son adversaire avait fait une renonce.

Curieusement, Vautour n'a rien dit de l'après-midi. Serait-il sous sédatif ? Pense-t-il qu'il n'y a eu aucune erreur d'arbitrage ? Que l'arbitre s'est trompé en sa faveur ? Ou attend-t-il vicieusement pour donner des armes aux contestations de son partenaire ?
« Une renonce, c'est deux plis de pénalité ». Voilà une opinion répandue, et qui n'est pas tout à fait fausse : beaucoup de renonces entraînent une pénalité de deux levées.
Toutefois, la règle n'est pas aussi simple. Une renonce peut être sanctionnée par une ou deux levées de pénalité, mais parfois plus ou parfois moins. Les règles sont très précises et l'arbitre a rarement le pouvoir d'appréciation, il a une loi à respecter.
La formation a été profitable à Courtois. Malgré les reproches injustifiés émanant de plusieurs joueurs, Courtois n'a commis aucune erreur dans l'arbitrage des renonces. C'est pour cela que Vautour n'a rien dit.
On peut néanmoins lui faire deux reproches:
  • - Il s'est arbitré lui-même alors qu'un autre arbitre pouvait être appelé, et il l'a fait sur une donne où l'analyse du jeu était nécessaire.
  • - Il faut qu'il apprenne à mieux motiver ses décisions. Un arbitre n'est pas là uniquement pour sanctionner, mais aussi pour expliquer et il y aurait eu beaucoup moins de contestations s'il l'avait fait (au besoin en montrant, et même en expliquant, la loi 64 du code).


  • Un rappel du règlement
    Loi 64 - Procédure après la consommation d'une renonce (extrait):
    64 A. Pénalité déterminée
    Quand une renonce est consommée
    1° Le Joueur fautif a gagné la levée de la renonce
  • Si le joueur fautif a gagné la levée de la renonce, cette levée plus une des levées gagnées ultérieurement par le camp fautif seront transférées.

  • 2° Le joueur fautif n'a pas gagné la levée de la renonce
  • - Si le partenaire du joueur fautif gagne cette levée ou si le camp fautif gagne ultérieurement une levée, une de ces levées sera transférée,
  • - en outre, si une autre levée est gagnée ultérieurement par le joueur fautif avec l'une des cartes qu'il aurait dû fournir quand il a renoncé, cette levée sera aussi transférée au camp non fautif.

  • Ces cas classiques entraînent donc une ou deux levées de pénalité. Il existe cependant un certain nombre de cas précis ou aucune pénalité ne sera appliquée (loi 64 B). Le plus simple étant sans doute celui où « le camp fautif n'a gagné ni la levée de la renonce ni aucune levée suivante » (il y a cinq autres cas).
    Enfin, le règlement est très bien fait et l'anecdote de Ronchon (joueurs faisant exprès de faire une renonce) est fantaisiste. Outre les sanctions sévères qu'entraînerait un tel comportement (voir loi 72 B 2: infraction intentionnelle), l'arbitre a toujours le droit de rétablir l'équité lorsqu'il estime que le camp non fautif est insuffisamment dédommagé par la loi (loi 64C).


    L'arbitre ne peut donc satisfaire n'importe qui en fonction de son propre sens de la justice, car les lois sur la renonce sont très précises:
  • - Elles ne l'autorisent à accroître la pénalité que lorsque le plan de jeu du déclarant lui aurait permis de faire plus de levées que celles qui lui sont attribuées avec la pénalité de renonce, ce qui est assez rare (voir plus loin la réponse au problème N°2)
  • - Elles ne l'autorisent pas à diminuer la pénalité. Voilà, vous en savez sur le sujet autant que Courtois et pouvez apprécier cas par cas.
  • Solution N°1

    Pas de pli à partir de la renonce, donc pas de pénalité (loi 64 B -1) et on ne rendra pas aux Nord-Sud leur contrat perdu.

    Solution N°2

    Il est évident que si la renonce prive Nord-Sud de cinq levées, ce qu'il peut facilement prouver, ces levées doivent lui être rendues au nom de l'équité, comme c'est prévu par le code (loi 64 C). Cependant, il eût été préférable d'appeler Loyal en arbitrage.

    Solution N°3

    D'apparence similaire, le cas est en fait très différent et montre la nécessité pour un arbitre d'avoir un bon niveau d'analyse. En réalité, la renonce n'a privé Vautour d'aucune levée (cette fois la couleur était mal répartie, deux de chute est un minimum après cette entame). Il n'y a aucune raison de ne pas appliquer le règlement:
  • - le fautif n'a pas réalisé la levée de la renonce (loi 64 A2),
  • - le fautif da pas réalisé de pli avec l'une des cartes qu'il aurait dû fournir (c'est son partenaire qui a fait un Trèfle).

  • Il y a bien une levée de pénalité et une seule. Courtois ne s'est pas trompé, mais il aurait dû être plus clair, il n'aurait pas été contesté.

    Solution N°4

    Le dernier point pose un problème d'éthique. Il est évident que lorsque l'on joue en club (et même, si possible, en compétition), on a la possibilité d'éviter à l'adversaire de faire une renonce quand on le peut, et c'est le cas, heureusement, de beaucoup de joueurs, mais rien dans le règlement n'obligeait Vautour à le faire. L'arbitre n'a pas le choix. Il n'a pas à juger si la renonce était évidente ou non, il doit appliquer le règlement. Dans le cas qui nous préoccupe, il doit accorder deux levées à monsieur Vautour: loi 64 B2, la levée ayant cette fois été faite avec la carte non fournie et au moins une autre levée ayant été réalisée à partir de la renonce.
    Courtois voulait prendre sa revanche, eh bien, il l'a prise en montrant qu'il connaissait maintenant l'arbitrage. Et vous, avez-vous réalisé un sans faute ?