ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Christian BURGUET - Bridgeur n° 734 - novembre 2000

Jeu de Lois


Christian Burguet, arbitre fédéral
 


Voici un petit test amusant sur cinq litiges vécus à la table. Où Christian Burguet, excellent arbitre de la Vallée de la Marne, tord le cou à ces idées reçues que nous avons tous à propos du code, quel que soit notre niveau de bridge.


 


Aujourd'hui, le club est en ébullition. L'arbitre officiel, absent, est remplacé par l'arbitre d'un autre club, monsieur Courtois. Mais, bien que très calé, il n'est pas arbitre officiel. Et c'est justement ce jour-là que vient monsieur Vautour, connu pour être un joueur à problèmes. Qu'importe, monsieur Courtois sait qu'il va être appelé et il se sent prêt.
D'ailleurs, si l'on craint Vautour, il faut quand même dire qu'aujourd'hui il n'a pas son partenaire habituel, mais un habitué du club, monsieur Lefranc, qu'il ne connaît pas, et qui est apprécié pour son extrême correction. On peut espérer que cela diminuera les litiges. Espoirs déçus.

Les Faits

Voici les problèmes qui se sont posés à la table et comment ils ont été (plus ou moins bien) résolus par l'arbitre remplaçant. Essayez de vous mettre à la place de chacun et cherchez qui a raison. Attention, ne confondez pas la technique du jeu et la loi !

Problème 1

Dès la première table, l'arbitre est appelé.
La main de Vautour en Ouest:
V 10 5 3
9 4
R D 10 4 3
D 10
Son partenaire ouvre d'1 il répond 1 Puis son partenaire dit 1, il annonce alors 1 SA, masquant ainsi ses Piques.
L'adversaire entame à Pique et la couleur étant aimablement répartie, le déclarant réalise son treizième pique sous les cris indignés de l'adversaire. La note devrait être excellente, le contrat chutant sur entame à Coeur.
Monsieur Courtois corrige et met « moyenne », jugeant que ces annonces sont volontairement trompeuses et donc pénalisables.
Monsieur Vautour fait remarquer que l'annonce d'1 serait une quatrième forcing. L'arbitre le reconnaît mais lui fait remarquer qu'avec un jeu faible, on doit donner une priorité à la majeure et qu'il le sait très bien.

Problème 2

Lefranc en Est (vulnérable) ouvre de 2 alerté par Vautour: « faible ».
Sud met 2 SA, ce qui laisse apparemment sa partenaire très perplexe.
Ouest passe.
« Tu dois alerter », dit alors Sud.
Nord retrouve alors le sourire, sort le carton alerte, dit « Bicolore mineur » et annonce 3, ce qui reste le contrat final. Un excellent 3 Trèfles égal, l'autre table ayant laissé jouer 2 Coeurs égal.
Cette fois, c'est Vautour qui appelle l'arbitre. Celui-ci reconnaît que Sud a pu donner une indication illicite à Nord et met « moyenne ». Sud est furieuse: « Je préviens l'adversaire par correction et je suis pénalisée, c'est injuste! »

Problème 3

Lefranc ouvre cette fois de 3 SA. Vautour, en Ouest, n'alerte pas.
- « Que signifie cette ouverture ? » demande Sud, joueur de 2ème série majeure.
- « Ecoutez, nous n'avons rien convenu, alors je préfère ne rien dire. »
Pourtant, Vautour semble avoir bien compris puisqu'il passe avec six cartes à Coeur plutôt que d'annoncer 4
Est avait sept Trèfles par ARV et le Roi de Pique.
Sur un excellent flanc : entame à Pique, retour Valet de Pique, Est chute de 4. Mais les Nord-Sud marquent un zéro (pour l'instant) car ils ont 4 Piques sur table. Arbitre!!! Cette fois, Courtois est tenté de se montrer plus ferme. Estimant que Vautour n'a délibérément pas expliqué une annonce qu'il connaissait, il envisage de le sanctionner sévèrement.
Reconnaissant néanmoins que de toute évidence il n'avait pu se mettre d'accord avec son partenaire d'occasion, il se contente de rectifier par 4 Piques en Nord-Sud, qui finalement devrait ramener à peu près à la moyenne.
Décidément, à toutes les tables, il se passe quelque chose.

Problème 4

Est ouvre d'l SA, Sud intervient à 2 non alerté. Vautour, qui a six cartes à Coeur, passe, et Nord annonce 2 Piques, contrat final.
Juste avant l'entame, Sud dit: « Par correction, je préfère vous prévenir, nous jouons Texas en intervention. »
Vautour avait une défense assez évidente à 3 Coeurs (six cartes) et appelle l'arbitre,
Courtois estime qu'il y a une faute en Nord-Sud, atténuée par le fait que Sud a prévenu avant l'entame, seul moment où il pouvait le faire : il fait jouer la donne puis l'arbitre revient.
Nord-Sud réalisent 2 Piques plus 1 (une très bonne note, il n'y a pour l'instant que des 100 et des 110). Pour mémoire, 3 Coeurs chutait très probablement de 2 (non vulnérable), mais Sud prétend, qu'avec ses 15 points, il aurait contré.
Dans le doute, et pour contenter tout le monde, Courtois inscrit « moyenne ».

Problème 5

Dès la donne suivante, Vautour, rendu furieux par le coup précédent, ouvre d'1SA avec 13 H et six beaux Trèfles. Son partenaire lui en dit 3 avec 9 H et il réussit son contrat, à la suite d'un flanc douteux.
Cette fois, c'en est trop, l'arbitre estime que « ça n'est plus du bridge » et il met un zéro.

Dès son retour, l'arbitre officiel, monsieur Loyal, est informé des faits, en détail et très honnêtement, par monsieur Courtois.

Quel est votre avis ?

En tant qu'arbitre officiel, doit-il valider les décisions de son remplaçant ou les modifier car monsieur Courtois, malgré sa bonne volonté, a commis des erreurs?
Dans tous ces appels à l'arbitre, une seule équipe incriminée n'était pas pénalisable, laquelle?

Les vraies réponses

Ce que doit faire l'arbitre officiel après l'exposé détaillé des faits.
Il doit refuser catégoriquement les services de monsieur Courtois, qui décidément ne fait que des erreurs.
Indépendamment d'ailleurs de sa méconnaissance des règlements, il est un signe qui ne trompe pas : sa forte propension à inscrire « moyenne ». Un bon arbitre sanctionne rarement de cette façon : soit il y a un fautif et le règlement doit être appliqué, soit les joueurs ont été lésés sans faute à la table, et il inscrira une note ajustée (par exemple 60-60).
Monsieur Loyal conseillera vivement à monsieur Courtois de suivre la prochaine formation d'arbitre de club et de ne plus arbitrer avant la réussite de l'examen.
Une seule équipe incriminée n'a commis aucune irrégularité : Vautour et son partenaire.
Avant d'analyser plus en détail, relisons l'article 40 du code international du bridge.
Loi 40A : « Un joueur peut faire n'importe quelle déclaration ou jouer de n'importe quelle façon (y compris une déclaration intentionnellement trompeuse - comme une enchère « psychique » - ou une déclaration ou un jeu qui s'écarte de ceux communément acceptés, ou de ceux préalablement annoncés, ou de l'usage d'une convention) sans devoir l'annoncer au préalable, à condition que cette déclaration ou ce jeu ne soit pas fondé sur une entente entre partenaires.
Vous pouvez également consulter la loi 73 E «Tromper un adversaire ».
En résumé, vous avez le droit d'annoncer presque tout ce que vous voulez à condition qu'il n'y ait pas d'entente illicite avec votre partenaire. (Il existe néanmoins diverses interdictions qu'il faut connaître quand on veut s'adonner à trop de fantaisies).
C'est ce point que vérifiera l'arbitre en cas d'annonces anormales.
Les clubs peuvent néanmoins, dans certaines conditions, réglementer l'usage des conventions ou interdire certaines ouvertures anormales (par exemple, les ouvertures notoirement « psychiques »), à condition bien sûr que les joueurs en soient informés.
Mais ces interdictions ne peuvent aller plus loin et il n'est pas question de sanctionner, ou même de reprocher vivement à un adversaire, une annonce sous le seul prétexte qu'elle est « hors norme ». L'arbitre jugera simplement si l'annonce du partenaire ne compense pas curieusement cette fantaisie.

Solution 1

Vautour a masqué les Piques. S'il jouait avec son partenaire habituel, on pourrait se demander s'il ne s'agit pas d'une pratique courante, compensée par un système qui permet de retrouver la majeure. Ici, non seulement il s'agit d'un partenaire d'occasion, mais la suite des annonces est parfaitement correcte. Aucune sanction, aucun reproche, Vautour a pris un risque et il a gagné cette fois. Il aurait parfaitement pu prendre un zéro.

Solution 2

Si les ententes secrètes sont illicites, rien ne vous interdit d'utiliser des conventions même originales (seules certaines méthodes particulières sont interdites, ou d'usage réglementé). Encore faut-il qu'elles soient correctement alertées et expliquées par le partenaire de celui qui les emploie.
À cette table, Nord a visiblement oublié une convention tout à fait particulière. Peut-être même Sud vient-il de l'inventer pour la circonstance (normalement 2SA est naturel dans une main de 16 à 18 H) ~
Nord a reçu une information illicite (art. 16). La sanction n'est en aucun cas « moyenne ». L'arbitre corrigera les enchères comme si Nord n'avait pas compris et analysera sans complaisance le résultat attendu. (Si par exemple, Nord a neuf points réguliers, l'arbitre inscrira 3 Sans-Atout moins 3, si tel était le résultat prévisible).

Solution 3

Alerter les conventions ne signifie pas poser le carton Alerte chaque fois qu'une annonce sort un peu des normes. Supposons par exemple que Vautour alerte. Il prendrait le risque de donner une fausse explication, puisqu'il n'a en fait rien convenu avec son partenaire.
Il ferait ce que nous faisons (presque) tous involontairement dans ce cas : une irrégularité, car il informerait ainsi son partenaire qu'il a bien compris, alors même que rien n'était convenu. Il n'a même pas à dire « je le prends pour... », qui donne la même information illicite.
Remarque : la difficulté, c'est quand votre niveau de bridge vous permet de comprendre sans ambiguïté une enchère non convenue, alors que visiblement l'adversaire ne la connaît pas.
Dans un club, essayez de concilier le règlement avec la satisfaction de l'adversaire, et, si on vous pose une question, dites simplement : « Nous n'avons rien convenu avec mon partenaire, mais je peux vous expliquer ce que veut dire, en général, cette convention ».
Vautour n'avait donc rien à dire, même s'il pensait avoir compris, d'autant que le niveau de l'adversaire (2ème série majeure) ne lui permettait pas d'ignorer cette enchère. Aucune sanction ne peut le frapper.

Solution 4

Dans l'esprit de la loi 75, Sud a attendu la fin des enchères pour signaler l'absence d'alerte de son partenaire, et ça c'est très bien. Mais, s'il a ainsi supprimé toute ambiguïté pendant la période du jeu, il n'a pas réparé le dommage subi par l'adversaire pendant les annonces.
Le doute ne peut pas profiter à l'équipe fautive, d'autant plus qu'Ouest a une défense logique à 3 Coeurs (moins 2) et que le contre punitif de Sud est loin d'être évident. L'arbitre devait donc inscrire 100 en Nord-Sud.

Solution 5

Y a-t-il une entente illicite ? Sûrement pas.
D'abord, ils ne se connaissent pas, ensuite et surtout, les annonces d'Est sont parfaitement correctes.
Alors Ouest prend les risques qu'il veut (à charge pour lui de s'expliquer avec son partenaire quand il prend des zéros, fréquents avec ce genre de plaisanterie).
L'adversaire est-il lésé ? Souvent, comme c'est le cas ici, de mauvaises annonces ne conduisent à de bons résultats que sur de mauvais flancs.
Au lieu de critiquer les fantaisies adverses, apprenons à les sanctionner avec un bon jeu plutôt qu'en criant au voleur.