ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Bertrand GIGNOUX - Bridgeur n° 697 - 15 juin 1997

Du bon usage des "convenances" (... souvent trop méconnues)


Bertrand Gignoux, arbitre international
 


Nous avons confié à Bertrand Gignoux, arbitre international, une rubrique d'arbitrage. Ecrivez-lui si vous avez des questions à lui soumettre. Nous les publierons, avec sa réponse. A condition, bien sûr, qu'elles ne soient pas du type "règlement de compte", sous prétexte qu'un arbitrage vous a été défavorable...
Joueur de 1ère série Pique du comité du Val de Seine, Bertrand Gignoux a été nommé arbitre international en 1996. Parmi ses "hauts faits" d'arbitrage les olympiades de Rhodes. Il avait même été désigné pour arbitrer la finale.
Sa première rubrique concerne les "convenances", et plus particulièrement "la communication entre partenaires". Même de très bons joueurs ignorent souvent le bon usage en la matière !
 

Le code international du bridge comporte un chapitre entier réservé aux "Convenances". Ce terme vague regroupe à la fois quelques principes généraux (Loi 72), la communication entre partenaires (Loi 73), la conduite et l'éthique (Loi 74) et les agréments entre partenaires (Loi 75).
Ces lois sont sûrement parmi les plus importantes et, paradoxalement, parmi les plus méconnues. Elles sont aussi les plus difficiles à comprendre. Elles engendrent des décisions arbitrales souvent spectaculaires, donnant lieu à des discussions indignées ou passionnées.
Si tous les joueurs de compétition acceptent les pénalités relatives à une enchère ou une entame hors-tour, leurs réactions violentes ou médusées, constatées après l'application de pénalités consécutives à une infraction à ces lois, prouvent que des explications de ces lois sont nécessaires.

Qu'est-ce qu'une infraction ?

Avant de débuter l'étude de ces lois fondamentales, il me paraît indispensable de vous citer la dernière phrase de "l'objet du code", qui figure en préambule de notre code :

"Les lois ne sont pas destinées à punir des irrégularités, mais plutôt à compenser un dommage."

Autrement dit, le but de l'arbitrage n'est pas de sanctionner, mais de rétablir l'équité, c'est-à-dire le résultat qui aurait été obtenu sans irrégularité. Gardez bien en mémoire que, dans le cadre des lois réservé aux convenances, l'arbitre ne cessera de se poser ces questions :

Vous admettrez que sa tâche est à la fois très honorable et bien délicate. A moi de vous faire comprendre son raisonnement et, avant tout, de déterminer ce que peut-être une infraction.
Voici donc une série d'articles qui débutera par la Loi 73 : "la communication entre partenaires".

LA COMMUNICATION ENTRE PARTENAIRES

Cette loi est capitale. C'est le fondement même de notre jeu. En une phase, elle décrit pourquoi vous ne pouvez pas dire : "Je me demande si mon partenaire coupe à Cœur", et précise les trois sources légales d'informations, c'est-à-dire les moyens qui vous permettront d'obtenir des renseignements sur le contenu du jeu de votre partenaire, et par conséquent sur ceux de vos adversaires.

Les trois sources

  1. les déclarations légales :

exemple : l'ouverture d'1 SA du partenaire vous informe qu'il possède (ou devrait posséder) une main régulière de 16 à 18 points d'honneurs. Autre exemple : votre partenaire, donneur, passe. Il n'a donc pas plus de 11 points d'honneurs. Dans ces deux cas, si vous deviez vous retrouver en défense, vous pourriez baser votre raisonnement sur les informations que ces déclarations vous auront transmises.

  1. le jeu (de la carte) légal :

Imaginez que votre adversaire de gauche ouvre d'1 SA, contrat final. L'entame de l'As de Pique vous permet de localiser quatre points d'honneurs et sûrement le Roi de Pique chez votre partenaire. Nouvel exemple : votre adversaire de droite est déclarant au contrat de 3 Sans-Atout. Vous entamez d'un Roi ce qui conventionnellement, au sein de votre système, demande au partenaire de débloquer, ou, à défaut, d'indiquer son nombre de cartes. Votre partenaire fournit le 2. Vous avez reçu, en toute légalité, l'information que votre partenaire n'a pas d'honneur dans votre couleur d'entame et y possède un nombre impair de cartes.

  1. le maniérisme adverse :

cela signifie que les grimaces, hésitations, gestes, etc... des adversaires sont autant d'informations auxquelles vous avez droit. Vous pouvez en tirer les conclusions que vous voudrez et baser votre action sur ces faits.

Pour bien comprendre les informations qui vous sont légalement accessibles, tout devrait se passer comme si vous étiez assis à la table, vos adversaires à vos côtés, comme dans la situation habituelle, mais votre partenaire, lui, étant muet (au moins pendant la période des annonces) et invisible, ses enchères et jeu de la carte étant produits toujours au même rythme. Les écrans permettent de se rapprocher, mais sans l'atteindre, de cette situation idéale.

Zone interdite

En dehors de ces trois sources d'informations, zone interdite ! Vous entrez dans l'illégalité ou, tout au moins, dans le domaine de l'information illicite.

La Loi 73 B 1 est très claire :

"Il est inapproprié que la communication entre partenaires soit effectuée grâce à la manière dont les déclarations et le jeu sont faits, grâce à des remarques et des gestes illicites, grâce à des questions posées ou non posées à des adversaires, grâce à des alertes et des explications données ou non données à des adversaires."
Le texte est devenu depuis le nouveau code 97 :
Il est interdit aux partenaires de communiquer par la manière dont une déclaration ou un jeu est fait, par des remarques et des gestes illicites, des questions posées ou non posées, des alertes faites ou non, des explications données ou non données.

Reprenons cette loi en détail

Par "remarques et gestes illicites", vous avez là le texte de loi qui explique pourquoi vous ne pouvez pas demander à votre partenaire : "tu n'as plus de Cœur ?", ou bien vous gratter le côté gauche de la poitrine pour réclamer le retour Cœur.

"Questions posées ou non posées à des adversaires"

exemple : Vos adversaires enchérissent

Sud Ouest Nord Est
1 passe 3 SA passe
passe ?

Avant votre passe final et bien que vos adversaires vous aient averti qu'ils jouaient "Majeure cinquième, meilleure mineure", donc que l'ouverture d'1 promettait au moins trois cartes, vous questionnez avec insistance le futur déclarant au sujet de cette ouverture d'1 , couleur dans laquelle vous détenez A R V cinquièmes. Gare à vous si Est découvre alors l'entame à Trèfle dans sa Dame seconde. En posant perfidement une question dont vous connaissiez parfaitement la réponse, vous avez mis l'accent sur les Trèfles de façon tout à fait illégitime. L'arbitre se posera alors la question : que se serait-il passé sans l'entame à Trèfle ? Le score sera rectifié en conséquence.

Ça se complique !

Pour le moment, c'est facile. Tout le monde comprend. Attention, cela se complique ! "Grâce à des alertes et des explications données ou non données à des adversaires" : cela signifie que les alertes et les réponses aux questions des adversaires sont à l'usage exclusif de ceux-ci.

Une mine d'or

Un exemple sera plus explicite :

Avant d'aborder la première séance du grand open de Manneville-la-Pipard, vous êtes convenus, avec votre partenaire, de jouer les "Michaels cue-bids" non précisés. Sur l'ouverture d'1 adverse, l'intervention à 2 montre un bicolore avec des Cœurs et une mineure (même principe sur 1 , avec le cue-bid à 2 , en inversant les majeures), le saut à 3 reste naturel. En Michaels précisés, 2 montre les Cœurs et les Trèfles et 3  un bicolore rouge. Ces enchères de bicolore représentent une véritable "mine d'or" pour les arbitres.

Le tournoi commence et vous relevez en Ouest :

V 5
7
8 6 3
A D V 10 9 7 3

Sud, donneur, ouvre d'1 . Votre soigneuse mise au point vous autorise à déclarer 3 en toute quiétude. Patatras... votre nigaud de partenaire alerte ! Le tournoi démarre bien... A la demande de l'adversaire, il explique: "bicolore 5-5 avec des Piques et des Carreaux". Bien sûr, vous ne bronchez pas, sachant parfaitement que toute manifestation agacée de votre part, destinée à raviver la mémoire d'Est, serait immédiatement sanctionnée. Nord soutient à 3 et votre cas s'aggrave : "Stop, 4 ". Dix secondes réglementaires plus tard, Sud contre. C'est à vous !

Dans de beaux draps

Vous voilà dans de beaux draps ! Manifestement, votre partenaire croit jouer les "Michaels" précisés, mais vous ne connaissez la vérité QUE grâce à l'alerte et l'explication orale d'Est. Relisez bien la loi : vous n'avez pas droit à cette information. Imaginez que vous n'ayez pas entendu l'explication. Vous avez donc maintenant deux possibilités :

Toutes sirènes hurlantes

  1. Vous essayez 5 Trèfles.

Attendez-vous à voir l'arbitre arriver toutes sirènes hurlantes, les menottes à la main. Nul doute qu'il rectifiera le score à 4 Piques contré moins... un maximum (le résultat qui aurait été obtenu sans l'infraction), sauf, bien sûr, si la chute à 5 Trèfles est encore plus chère !

Bonnes et mauvaise nouvelles

  1. Vous passez.

Dans ce cas, première bonne nouvelle : c'est votre partenaire qui jouera ce contrat grotesque, avec peut-être cinq malheureux atouts dans la ligne. Deuxième bonne nouvelle : votre réputation en sortira grandie. La mauvaise nouvelle est que le zéro qui suivra ne devrait être partagé qu'entre vous et votre partenaire. De toutes façons, vous ne pouviez plus y échapper.

Pour bien comprendre pourquoi vous n'avez pas le droit de déclarer 5 , imaginez que votre partenaire, enfin dans un bon jour, ait correctement expliqué votre enchère de 3 comme provenant d'un unicolore faible à Trèfle, puis ait tout de même déclaré 4 sur le 3 adverse.

Sinon, ravi !

Le contre de Sud serait, cette fois, beaucoup moins inquiétant. En fait, vous seriez même ravi : avec un bon soutien, face à des Piques au moins septièmes, un singleton dans la couleur adverse et une belle couleur à Trèfle commandée par l'As, vous avez une grande chance de gagner 4 Piques contré et vous seriez déjà en train de calculer: "Ça fait combien, 4 Piques contré juste fait ?". Vous viendrait-il à l'idée de rectifier à 5 Trèfles ? Sûrement pas.

En conclusion

Les moyens de communications entre partenaires répondent à des règles strictes. Ne pas les respecter et utiliser des informations obtenues par d'autres voies constitue une infraction. Si vous ne voulez pas que votre tournoi ressemble à la partie de cartes de Pagnol, retenez bien : Les uniques sources légales d'information sont les déclarations et le jeu légaux, le maniérisme adverse.

La Loi 73 C énumère quelques-unes des informations non autorisées : remarque, question, geste, maniérisme, hâte et, problème bien connu, hésitations du partenaire. Nous reviendrons prochainement sur ce dernier point.

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