ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Michel MAITRE - Bridgeur n° 673 - 15 avril 1995

Revendications et concessions


Michel Maître, arbitre national
 

Fréquemment, dans le but de "gagner du temps", d'écourter le jeu, ou, plus prosaïquement, d'aller prendre un café ou fumer une cigarette, vous "tablez" votre jeu et réclamez ou concédez un certain nombre de levées.
Ce faisant, vous suivez l'esprit du jeu, mais, bien souvent, vous prenez, sans le savoir de gros risques.
Le but de l'article de ce mois est d'attirer votre attention sur les précautions que vous devez prendre en de telles circonstances.
 

Ne perdez pas de levées qui, de fait, sont à vous

Loi 74 B
ETHIQUE
4) - Par courtoisie, un joueur devrait éviter de prolonger le jeu inutilement (par exemple, en continuant de jouer, bien qu'il sache que toutes les levées sont sûrement à lui), dans le but de dérouter un adversaire.

L'exemple choisi par le code est surprenant, car je ne vois pas en quoi je peux "dérouter" l'adversaire si toutes les levées sont à moi (à moins que j'espère l'avoir exaspéré pour la ou les donnes suivantes... ni vous ni moi, n'avons cet état d'esprit).

Donc, conformément au code - mais notez bien que le code dit : "devrait éviter" et non pas "doit", ou encore "ne doit pas" (ce qui veut dire que vous n'êtes pas obligé) - vous êtes, par exemple, dans la position suivante, et souhaitez écourter le jeu :

Vous jouez un contrat à Pique et il reste un atout dehors.

Le mort    x x x
A x
Vous    A R x
R x
Cas 1 :
vous jouez un coup d'atout et vous tablez votre jeu sans rien dire ; il est clair qu'il vous reste deux atouts maîtres dans chaque main et l'As second à Carreau pour le Roi second.
Personne, évidemment, ne réclamera rien, ni ne s'opposera à votre "revendication".
Cas 2 :
Cette fois, très pressé, vous tablez à cinq cartes, toujours sans rien dire. Supposons que l'un des flancs détienne :
V
x x x x
Il reste un atout dehors, vous n'en avez pas fait mention, vous n'avez fait aucune déclaration, vous allez donner une levée d'atout. Je sais d'avance que vous serez indigné et ne direz peut-être pas à vos adversaires ce que vous pensez du fait qu'ils aient appelé l'arbitre, mais que...
Bref, vous avez perdu une levée qui vous appartenait et c'est de votre faute. Ne bougonnez pas, c'est indiscutablement de votre faute.
PRINCIPE N° 1
Lorsque vous revendiquez ou concédez, expliquer pourquoi et comment.

 

Loi 68 C
ECLAIRCISSEMENT EXIGE POUR UNE REVENDICATION
une revendication devrait être accompagnée immédiatement d'un exposé clarifiant l'ordre dans lequel les cartes seront jouées, la ligne de jeu ou de défense grâce à laquelle le joueur qui revendique se propose de gagner les levées revendiquées.

Supposons que le fin joueur, que vous êtes, table, sans rien dire, tant le squeeze lui semble évident.

  1. Ce qui est évident pour vous ne l'est peut-être pas pour vos adversaires et la moindre des courtoisies aurait été de leur fournir quelques explications.
  2. L'arbitre va considérer qu'en l'absence de déclaration, les levées revendiquées doivent pouvoir être réalisées par n'importe quel jeu normal.
    Ce jeu "normal" est défini dans le code : "un jeu normal inclut un jeu qui serait négligent ou inférieur pour la classe du joueur concerné, mais pas irrationnel".
    Adieu, donc squeeze, levées, top...

Allons un peu plus loin, puisque vous n'avez fait aucune déclaration, le jeu normal implique que les couleurs peuvent être jouées par vous dans n'importe quel ordre (bonsoir le squeeze), qu'à l'intérieur des couleurs les communications n'ont pas d'importance (bonjour les blocages), que le 2 d'atout dont vous n'avez pas fait mention, pourra, votre jeu étant négligent, couper votre As de Carreau.

Que veut dire alors "pas irrationnel" ?

Simplement que l'on ne vous forcera pas à mettre vos As sur vos Rois pour établir des perdantes, ni à jouer petit des deux mains, avec As-Roi-x pour Dame-x-x, par exemple.

Attention ! La limite que le code fixe entre le jeu "normal" et l'irrationnel est très particulière, souvent ce "normal" vous surprendra à vos dépens.

Exemple : vous tablez, sans rien dire, avec Dame-10-8 à Pique et le 9 à Carreau (treizième de la couleur).
Supposons qu'un de vos adversaires détienne : 9-x-x à Pique, Valet à Trèfle.
Cet adversaire va s'opposer à votre revendication et appeler l'arbitre. Combien de levées vous seront-elles attribuées ?

Trois, pensez-vous ? deux Piques maîtres et le 9 de Carreau ! Non ! Par un jeu normal, c'est irrationnel, il n'y a pas de raison que vous jouiez votre 9 de Carreau avant votre 8 de Pique, vous allez donc perdre le 9 de Pique et le Valet de Trèfle adverse. Vous venez, sans conteste, de perdre une levée par votre faute !
De plus, et nous y reviendrons, si votre revendication ou votre concession est contestée, le code dit :

Loi 70 A
Tout point douteux sera résolu CONTRE le joueur qui a revendiqué.

Bien ! Je pense que maintenant il est clair pour vous que vos revendications ou concessions doivent être faites avec la plus grande prudence !

NOS CONSEILS
  • Avant de revendiquer ou de concéder, REFLECHISSEZ !
  • Recomptez les couleurs, spécialement l'atout !
  • Vérifiez vos communications entre votre main et le mort.
  • Exposez clairement votre revendication (en nombre de levées).
  • Expliquez votre ligne de jeu !
  • Si vous avez le moindre doute, NE TABLEZ PAS et continuez le jeu !

Certains m'objecteront que ce dernier conseil n'est pas dans l'esprit du code ? Si le code vous encourage à écourter le jeu, je ne pense pas qu'il préconise la précipitation !
De plus, bien souvent, vous auriez fait aussi vite, et même plus vite en jouant, et sans risques inutiles !

Supposons maintenant que vos adversaires ou vous-même ayez revendiqué ou concédé un certain nombre de levées, que va-t-il se passer ?

Loi 68 D
LE JEU CESSE
Après n'importe quelle revendication ou concession le jeu cesse. Tout jeu consécutif à une revendication ou à une concession sera ANNULE par l'arbitre.

Donc, il est totalement inutile de dire par exemple : "Je préférerais que l'on joue", comme je l'entends souvent à la table. La loi est claire, il n'y a pas de jeu consécutif et, si, par erreur, vous aviez cédé aux pressions d'un adversaire, et joué, tout ce qui aurait pu se passer après la revendication est annulé.
Toutefois, pour qu'une concession soit effective, il faut que les deux membres du même camp aient agréé celle-ci, et si le partenaire a fait immédiatement objection :

Loi 68 B
Si le partenaire fait immédiatement objection, aucune concession n'a eu lieu ; la Loi 16 (information illicite) et la Loi 57 A (jeu prématuré) peuvent être appliquées, c'est pourquoi l'arbitre devrait être appelé immédiatement.

Ce qui veut dire que si votre partenaire s'oppose à votre concession, celle-ci n'existe pas et le jeu continue après que l'arbitre a été appelé. Il est, de plus, évident que l'opposition de votre partenaire est pour vous une information importante et illicite.

Exemple : supposons qu'à cinq cartes de la fin votre analyse personnelle soit que votre camp ne peut plus réaliser aucune levée. Vous dites (résigné) : "je vous donne le reste ! "
Votre partenaire (légèrement agacé...) s'oppose à votre concession ; il détient, par exemple, un atout et couperait bien un Trèfle !
L'arbitre, appelé, dit : "Continuez le jeu" ; ne voyant que des cartes maîtresses au mort, vous jouez Trèfle (enfin...) votre partenaire (souriant) coupe ! une de chute !

La réponse est non ! L'arbitre estimera que c'est l'information illicite issue de l'opposition de votre partenaire qui aura, ou aura pu, vous faire découvrir ce jeu "providentiel" et la Loi 16, qui vous est maintenant familière, vous sera appliquée !
Donc, une fois encore, ne vous précipitez pas pour perdre des levées que vous auriez pu, même par hasard, réaliser ! (en jouant, sans le savoir, la couleur de la coupe...).

 

Revendications et concessions contestées

Souvent, les revendications ou concessions sont peu claires, la ligne de jeu obscure ou, pire encore, les cartes sont "tablées" sans commentaires. Les joueurs, confiants, examinent succinctement la situation et passent rapidement à la donne suivante !

La situation se complique nettement quand, ultérieurement l'un des joueurs se rend compte que "quelque chose ne colle pas" :

- "Mais enfin, nous avions déjà quatre levées...! "

- "Tu avais le 9 de Pique ! mais alors il ne pouvait pas rentrer au mort ! cela change trois levées ! "

- "Mais au fait ! Il avait coupé un Carreau et il lui en restait trois quand il a tablé".

Dans ce type de situation, quels sont vos droits ? et que peut-on sauver ?

La réponse sera : tout, peu ou rien du tout !
En effet, vos droits seront très différents selon le laps de temps qui se sera écoulé entre la revendication et l'instant où vous vous rendez compte de "l'erreur"...

  1. votre objection est immédiate.
    Tous vos droits sont préservés, l'arbitre procédera aux rectifications qui s'imposent et, de plus, tout point douteux sera tranché en votre faveur !
     
  2. Votre objection a lieu après que vous avez quitté la table ou enchéri pour la donne suivante et avant qu'il se soit écoulé une demi-heure, (généralement) après l'affichage des résultats.
    Vous êtes alors à l'intérieur de la période dite de "correction" établie par le code (Loi 79 C) et vos droits sont limités !
     
    Loi 69 B
    A l'intérieur de la période de correction, un joueur peut retirer son consentement à la revendication d'un adversaire, mais SEULEMENT s'il a admis la perte d'une levée que son camp a, en fait, gagnée ou la perte d'une levée qui n'aurait pu, de l'avis de l'arbitre, être perdue par aucun jeu NORMAL des cartes restantes.

    Dans ce cas b), ce que vous pouvez contester est donc très réduit !

  3. Votre objection s'effectue au-delà de la période dite de "correction".
    Vous n'avez plus aucun droit !

Notez toutefois que la durée de cette période de correction est variable, fixée par l'organisme responsable de la compétition. Pour un festival, une demi-heure après l'affichage des résultats, pour une épreuve fédérale ce délai pourra être de 24 h, si, par exemple, on a joué le soir tardivement, ou plus...

NOS CONSEILS

  1. Ecoutez attentivement la revendication de votre adversaire.
  2. Plus attentivement encore, son exposé.
  3. Vérifiez soigneusement sa ligne de jeu (blocage, atout non mentionné, etc.).
  4. Ne perdez aucun de vos droits et, si vous avez le moindre doute, ou si l'explication n'est pas claire, APPELEZ L'ARBITRE TOUT DE SUITE !
  5. AVANT de quitter la table ou d'enchérir pour la donne suivante, vérifiez le score et surtout, LE NOMBRE DE LEVEES.

En résumé, pas de précipitation ! Ne faites pas aveuglément confiance à votre adversaire qui, en toute bonne foi, a pu se tromper. Ne perdez pas de levées qui sont à vous ! Et sinon, ne vous en prenez qu'à vous-même !

Notez par ailleurs que :

Loi 70 C
Quand un atout reste dans une des mains des adversaires, l'arbitre attribuera une levée ou plus aux adversaires si :
  1. le joueur qui revendique n'a pas fait état de cet atout,
  2. il est "fort probable" qu'il ignorait qu'un atout restait,
  3. une levée aurait pu être perdue à cause de cet atout par n'importe quel jeu normal.

Il faut que ces trois conditions soient réunies pour qu'une ou plusieurs levées soient transférées.

D'autre part:

Loi 70 D
L'arbitre n'acceptera du joueur qui revendique aucune ligne de jeu favorable non contenue dans les éclaircissements originaux.

Et :

Loi 70 E
L'arbitre n'acceptera du joueur qui revendique aucune ligne de jeu non formulée dont le succès dépend de trouver, chez un adversaire plutôt qu'un autre, une carte particulière, à moins qu'un adversaire n'ait pas fourni à la couleur de cette carte avant que la revendication n'ait été faîte (ou à moins qu'il ne fournisse pas ultérieurement à cette couleur sur n'importe quelle ligne de jeu normale).

 

Loi 71 : concession annulée

Une concession, une fois faite, doit être maintenue, excepté :

  1. Fausse concession.
     

A l'intérieur de la période de correction, l'arbitre annulera une concession :

  1. la levée ne peut pas être perdue si un joueur a concédé une levée que son camp a, en fait, gagnée ou une levée que son camp n'aurait pu perdre par aucun jeu légal des cartes restantes ;
  2. le contrat a déjà été gagné ou perdu si le déclarant a concédé la perte d'un contrat qu'il a déjà gagné, ou si un joueur de la défense a concédé le gain d'un contrat qu'il a déjà battu.
  1. Concession improbable.
     

Avant que le camp qui a concédé déclare à la donne suivante, ou avant la fin du tour, l'arbitre annulera la concession d'une levée qui n'aurait pu être perdue par aucun jeu normal des cartes restantes.

Maintenant, vous savez tout sur le sujet! Vous pouvez choisir sans risques de jouer ou de tabler !

La lettre publiée page suivante au courrier des lecteurs illustre parfaitement ce qui peut se produire en cas de revendication et de contestation ultérieures.

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