ARBITRAGE
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Rubrique des Arbitres
 
Rubriques de Michel MAITRE - Bridgeur n° 671 - 15 février 1995 | |
Alerte et Stop |
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Le jeu de bridge a beaucoup évolué au cours des deux dernières décennies. En particulier en ce qui concerne les enchères, de multiples conventions et systèmes ont vu le jour. Certaines de ces conventions sont devenues des " classiques ", répertoriées et connues de tous, le Blackwood ou le Stayman, par exemple. D'autres, passées de mode, ont sombré dans l'oubli. Des systèmes entiers, très élaborés (trop peut-être) ont disparu. La prolifération de ces conventions et systèmes a rendu indispensable l'usage des " feuilles de conventions " et, avec l'apparition des boîtes à enchères, des cartons ALERTE et STOP. |
Nous allons examiner :
1. ce qui doit être alerté ;
2. comment alerter ;
3. ce qui va se passer si vous n'alertez pas.
Nous allons supposer que vous avez une feuille de système et de conventions parfaitement remplie, lisiblement, et que celle-ci est posée sur la table (pas dans votre poche), visible et accessible (pas sous le cendrier, ni sur une tablette éloignée). Notez au passage que le règlement des épreuves, Article 56, laisse toute liberté aux présidents de clubs, pour exiger ou non l'utilisation des feuilles de conventions dans les tournois de régularité (mon avis - strictement personnel - est que l'usage de ce document évite beaucoup de complications, facilite les éventuels arbitrages, évite des contestations et je recommande chaudement son utilisation...).
Un premier point essentiel est que le fait d'avoir une feuille de conventions, aussi bien remplie soit-elle, ne vous dispense en rien d'alerter.
Même si vous avez expliqué les lignes générales et les particularités de votre système avant le début du jeu, même si vos adversaires ont lu votre feuille en long et en large, vous devrez alerter tout ce qui (nous le verrons plus bas) n'est pas immédiatement évident. D'ailleurs, vos adversaires ne sont pas là pour apprendre en deux minutes ce que votre partenaire et vous-même avez mis cinq ans à mettre au point. Que dit le règlement des épreuves ?
Article 58 A
Toute enchère artificielle ou inusuelle ou toute enchère naturelle dont le sens inattendu pourrait surprendre les adversaires doit être alertée.Le SEF, décrit en Annexe VI, constitue une liste non exhaustive d'enchères qui généralement ne nécessitent pas d'alerte. En revanche, les enchères d'essai, l'utilisation de la troisième ou quatrième couleur forcing, les Texas, les ouvertures en canapé et les contres non punitifs doivent être alertés y compris le contre Spoutnik inclus dans le SEF et à l'exception des contres d'appel simples de premier tour.
Il est précisé que la procédure d'alerte ne doit être utilisée que pour les enchères, en aucun cas elle ne doit être appliquée pour signaler une convention du jeu de la carte, ces dernières doivent être, en revanche, explicitées avec précision sur la carte de convention.
Point final ou point d'interrogation ? Ce texte, qui a le mérite
d'exister, nécessite, je crois, commentaires et précisions. Prenons le premier
paragraphe. Vous jouez l'ouverture d'1
limitée à 16 points H, naturelle avec cinq cartes à Cœur. Votre enchère est
bien naturelle et, cependant, il ne vous viendrait pas à l'esprit de ne pas
l'alerter. Le sens du mot " artificiel " nous paraît, dans ce cas,
sortir de son sens courant.
Autre exemple, vous ne jouez pas le Stayman (personne ne peut vous
y obliger) et, sur 1 SA, 2
est faible et naturel ; vous devez alerter, parce que cette enchère naturelle
est aujourd'hui inusuelle.
Tout n'est donc pas si simple et je pense, qu'outre le règlement des épreuves, vous devez connaître impérativement la Loi 40 B du code international pour déterminer votre ligne de conduite en matière d'alerte.
LOI 40
CONVENTIONS ET AGRÉMENTS
ENTENTE ENTRE PARTENAIRES
Loi 40 B - Entente secrète entre partenaires interdite.
Un joueur ne peut pas faire une déclaration ou un jeu de la carte basés sur une entente spéciale entre partenaires, à moins que la paire adverse ne puisse en comprendre la signification de manière raisonnable, ou que son camp n'explique l'utilisation d'une telle enchère ou d'un tel jeu (en accord avec les règlements de l'organisme responsable).
Ce qui veut clairement dire que toute enchère doit être entièrement explicite sur ce qu'elle exprime, mais aussi sur ce que le partenaire comprend et que les adversaires doivent comprendre en même temps. Ou encore que dès qu'une enchère même naturelle apporte un renseignement de force ou de distribution, qui ne ressort pas à l'évidence de la dénomination, cette enchère doit être alertée.
Exemple :
Vous intervenez à 2
sur l'ouverture d'1
adverse.
Si cette enchère est naturelle, indiquant uniquement des Piques en nombre
inconnu et en force indéterminée, il n'est pas nécessaire d'alerter.
Seulement, cela n'est jamais le cas en pratique : en général cette enchère
est conventionnellement zonée. Il s'agit soit d'un deux faible, soit d'une
ouverture avec six cartes, soit encore, comme cela se pratiquait couramment il y
a vingt ans, d'un 2 fort à Pique. De plus, on peut moduler en fonction de la
vulnérabilité. Dans ce cas apparemment simple, 2
peut donc avoir, en force, de multiples significations différentes et aucune
d'entre elles ne ressort à l'évidence. Je pense que cette enchère doit être
alertée.
Par ailleurs et en complément :
Loi 75
AGREMENTS SPÉCIAUX ENTRE PARTENAIRES
Les agréments spéciaux entre partenaires, explicites ou implicites, doivent être complètement et librement à la disposition des adversaires.
Le bridge n'est pas et ne doit pas être une partie de cache-cache, agrémentée de chausse-trappes et autres cachotteries... Tout ce que vous savez " par " une enchère, vos adversaires doivent le savoir également et complètement. De ce qui précède, vous déduisez maintenant clairement tout ce que vous devez alerter à l'intérieur de votre système et de vos conventions. Notez qu'en ce qui concerne le jeu de la carte, ce sont vos adversaires qui doivent se renseigner. Néanmoins, je pense que si vous jouez quelque chose de spécial, comme les défausses italiennes ou les têtes de séquences inversées, vous devez, avant le début du jeu, attirer l'attention sur ce point, surtout en tournoi par paires où vos adversaires, pressés ou en retard, auront peut-être négligé de consulter votre feuille.
La question peut paraître bizarre. Avec le carton alerte
répondrez-vous, question idiote... Peut-être... mais examinons les faits.
2ouverture alertée. Le deux
faible est en vogue, vos adversaires vont penser qu'il s'agit d'un deux faible
et peut-être ne pas regarder votre feuille, or il s'agit d'un bicolore avec
quatre Cœurs et une couleur sixième.
Autre exemple :1 SA passe 2
alerté ou encore mieux 1 SA passe 2
alerté. Dans le premier cas vos adversaires vont penser qu'il s'agit d'un
Stayman et, dans le deuxième cas, d'un Texas Cœur, or nous jouons 2
Stayman faible, réponse à trois paliers, et 2
Stayman forcing de manche.
Nous avons alerté... certes, mais est-ce suffisant ? A mon avis non. Il ne peut
évidemment y avoir de cartons alerte de couleurs différentes mais votre alerte
se doit d'être expressive ! Et je pense que vous devriez attirer spécialement
l'attention de vos adversaires sur votre feuille de conventions, si vous savez
que votre enchère, conventionnelle, peut être interprétée différemment de
ce que vous jouez.
Ce qui précède est, et j'insiste sur ce point, une option toute personnelle qui s'appuie uniquement sur ce que je pense être l'éthique du jeu... et non pas sur un texte, un règlement ou une loi.
Dernier point important de ce chapitre : ne donnez pas d'explication si l'on ne vous en demande pas ! Votre partenaire est en train de dormir tranquillement, votre adversaire, délicat, peut souhaiter que vous ne le réveilliez pas, et votre intervention peut être considérée comme le fait que vous craignez que votre partenaire ait oublié ce que vous jouez dans cette situation. De la même manière, n'alertez pas votre propre enchère (ne riez pas...) si vous jouez sans paravent. Dans ce dernier cas, votre alerte est une information illicite caractérisée.
Très simplement le défaut d'alerte est assimilé à une
"erreur d'explication". Comme nous l'avons vu dans l'article du mois
de novembre, les erreurs d'explication sont prévues par le code et pénalisés
selon leurs séquences sur le déroulement des enchères et (ou) du jeu.
Votre "défaut d'alerte" sera donc pénalisé selon les dommages qu'il
occasionnera, c'est-à-dire que l'arbitre pourra annuler le résultat obtenu et
lui substituer une "marque ajustée de remplacement" qui, je vous le
rappelle, sera pour vos adversaires le résultat "le plus favorable qu'ils
auraient pu vraisemblablement obtenir" ou, pour vous, le résultat "le
plus défavorable le plus probable". Si l'arbitre décide de maintenir le résultat,
estimant que votre absence d'alerte n'a pas désavantagé vos adversaires, il
pourra néanmoins vous pénaliser "forfaitairement" en lMP, en points
de victoire ou en pourcentage selon le type d'épreuve. Généralement il s'agit
de 3 ou 6 IMP, de 1 ou de 1/2 PV, ou encore de 1 ou de 0,5 %.
Si votre absence d'alerte a créé une situation si confuse qu'il est impossible
de déterminer un résultat probable quelconque, vous vous en tirerez au mieux
avec un 40/60 en votre défaveur. Je dois avouer qu'en général les arbitres ne
sont pas très indulgents pour les erreurs d'explications ou les oublis
d'alerte. Je sais ! Vous pensez avoir plus de chances de devenir riche au loto
que de rencontrer un arbitre indulgent... Mais, d'un autre côté, personne ne
vous oblige à jouer des conventions que vous ne connaissez pas ou d'un usage si
rarissime que, si au bout de dix ans, votre partenaire détient enfin la main
qui convient vous avez totalement oublié la convention et donc, bien sûr, de
l'alerter !
Sachez, de plus, que les oublis d'alerte passent rarement inaperçus, que vos
adversaires particulièrement vigilants imputeront d'emblée à votre infraction
toute dérive des enchères ou du jeu qui leur serait défavorable.
Nos conseils en matière d'alerte seront simples :
- n'oubliez pas d'alerter !
- il vaut mieux alerter trop que pas assez !
Le code international du bridge ne mentionne pas l'existence du carton stop. En effet, les lois du code sont, dans leur ensemble, antérieures à l'apparition des boîtes à enchères. Néanmoins, l'usage de la procédure du stop s'est généralisée et elle est décrite dans le règlement des épreuves comme suit :
Article 58 A PROCÉDURES D'ALERTE ET DE STOP Toute ouverture au-dessus du palier de 1 ou toute enchère à saut doit être précédée du stop. Le joueur placé à la gauche de celui qui vient d'enchérir à saut doit observer une pause de 5 à 10 secondes avant toute déclaration, qu'il y ait eu ou non procédure de stop. Ne pas utiliser la procédure de stop peut faire perdre le droit de réclamation contre une enchère trop rapide ou une hésitation de quelques secondes de l'adversaire. |
Ce texte est parfaitement clair et vous ne pouvez l'ignorer. Le respect de la procédure de stop est obligatoire et si, pour une raison ou pour une autre, vous n'avez pas de carton stop, vous devez stopper à la voix. De même, le respect de la pause qui devra suivre le stop est obligatoire. La pause doit être marquée nettement, une seconde de plus ou de moins ne portera pas à conséquence, mais, passé un certain délai, votre pause prolongée devient " hésitation " et si vous décidez de passer, elle pourra être considérée comme information illicite pour le partenaire.
Carton stop retourné ou non ?
Le fait que le " stoppeur " retourne ou non le carton stop n'influe pas sur le temps de la pause. C'est-à-dire que si le stoppeur sort et retourne immédiatement le carton, vous ne devez pas, pour autant, enchérir de suite, mais respecter la pause. Vous ne devez pas, non plus, attendre indéfiniment qu'il retourne le carton pour enchérir.
Conséquences possibles du non respect de la procédure " stop "
Exemple 1 :
Nord | Est | Sud | Ouest |
1 ![]() |
4 ![]() |
passe | passe |
passe |
Cette séquence réelle s'est produite lors de la sélection par
paires pour Albuquerque. 4 a
été accompagné du carton stop ; en revanche, Sud a passé " comme un
obus ". Le contrat final donnait à la paire Est-Ouest un résultat moyen
favorable. Mais... la main de Nord n'a pas échappé à l'œil vigilant d'Henri
SZWARC. En effet, Nord, vulnérable, détenait sept cartes à Pique par As-Roi,
un singleton Cœur et des valeurs d'ouverture confortables.
L'arbitre, appelé, a estimé que la décision de passer du joueur Nord a pu être
influencée par le non-respect de la pause obligatoire de Sud et que, trois fois
sur quatre, Nord enchérirait 4
, qui serait contré par Ouest (Dame-Valet-x-x à Pique) pour un score de 800 en
Est-Ouest. La note finale attribuée sur cette donne a donc été le total de
trois fois la note correspondant à 800, en Est-Ouest, plus une fois la note du
résultat à 4
, le tout
divisé par 4.
Bravo ! Une bonne connaissance du règlement qui rapporte 1,3% !
Exemple 2 :
Ouest | Nord | Est | Sud |
3 ![]() |
passe | passe | passe |
Main de Sud :
![]() |
V x x x x |
![]() |
x |
![]() |
A D 10 x |
![]() |
A R x |
Que s'est-il passé ? Ouest a ouvert de 3
sans stop et Nord a passé " foulée ". La paire
Est-Ouest a appelé l'arbitre et, faisant constater la main de Sud, a déclaré
que l'absence de réveil de Sud venait du passe immédiat de Nord. L'arbitre,
particulièrement indulgent (mais oui...), a estimé qu'il y avait un lien
direct entre l'infraction de Nord (absence de pause) et l'infraction d'Ouest
(absence de stop). Il a donc débouté Est-Ouest et maintenu le
résultat ! Cette décision me paraît contraire au règlement des épreuves qui
précise bien que la pause doit être observée même en
l'absence de stop.
Donc Est-Ouest auraient dû conserver leur mauvais coup à 3
. En revanche, Nord-Sud auraient dû payer les conséquences d'un réveil assez
évident.
Quant à déterminer les conclusions d'une commission d'appel... (cet exemple
est tiré de la rubrique "Sed Lex" d'octobre 91). Servez-vous
des alertes et respectez le stop ! (sinon gare au carton rouge !).