ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Michel MAITRE - Bridgeur n° 667 - 15 octobre 1994

Pour en finir avec les hésitations


Michel Maître, arbitre national
 

Le bridge est considéré, de même que les échecs, comme un jeu de réflexion, ce qui semblerait lui donner une certaine "noblesse" et le distinguer des jeux dits "de hasard".
(Notons que cette "distinction" s'est quelque peu estompée au cours des dernières décennies où de nombreux jeux dits "de société" ont fait leur apparition. Combinant hasard, jugement et tactique, ces jeux, qui s'apprennent vite, ont fait de nombreux adeptes.)
 
Le bridge étant donc essentiellement un jeu de réflexion, peut-on dès lors vous reprocher de réfléchir ?

Certainement PAS, et, d'ailleurs, ce qui vous est reproché serait plutôt :

  1. de réfléchir ou d'hésiter sans raison,
  2. de ne pas réfléchir (enchère trop rapide, non respect du "stop", jeu immédiat, etc.),
  3. que votre réflexion véhicule un message supplémentaire ou complémentaire de ce qu'exprime votre enchère.

Voyons ce que dit le code :

Chapitre 7, Loi 73 A : "La communication entre partenaires durant les annonces et le jeu devrait s'effectuer par le seul moyen des déclarations et du jeu.
Les déclarations et le jeu devraient être faits sans insistance ni maniérisme, ni accentuation, et sans hésitation ni hâte excessives."

Voici qui est clair. Si vous êtes amateur de la " partie de Pagnol ", au bridge et si vous la pratiquez, en dépit de son charme, vous êtes en infraction.

Le fait de ne pas respecter un rythme régulier d'enchères ou de jeu s'appelle : variation de tempo.

Nous venons d'introduire la notion de tempo, lors des enchères ou du jeu et il est impossible de concrétiser en temps réel cette notion. Combien de secondes faut-il pour produire une enchère ou jouer une carte ?

Le code ne répond pas à cette question. Il existe des joueurs dits " lents ", ou " rapides " ; leur tempo de jeu est différent, ni les uns ni les autres ne sont en infraction.

C'est la rupture dans le rythme " normal " qui constitue la variation de tempo.

Notons toutefois qu'il existe des rythmes de jeu usuellement pratiqués : deux donnes en quinze minutes, huit donnes à l'heure, etc. Un tempo normal devrait permettre au jeu de s'effectuer à l'intérieur de ces limites.

Cependant, la multiplicité et la complexité des systèmes et des conventions tendent à allonger ces durées. Les joueurs réfléchissent de plus en plus longtemps pendant les enchères : c'est une évolution incontournable.

Bien. Faisons le point.

Il n'est pas contraire aux lois de réfléchir ou d'hésiter.

Votre tempo ne doit pas véhiculer d'informations illicites.

Exemple :

Vous regardez vos cartes, vous ouvrez de 1 . Bien, vous avez cinq Piques et une valeur d'ouverture.
Vous réfléchissez longtemps et vous ouvrez de 1 , vous avez toujours cinq Piques mais vraisemblablement votre ouverture ne se situe pas dans la zone 13-14, ou vous n'êtes pas 5-3-3-2, sinon vous n'auriez pas " hésité " longuement. Visiblement, vous aviez un choix à exercer, peut-être avez-vous 20 points ou bien encore un bicolore.
Il est certain que votre hésitation transmet, dans ce deuxième cas, un message muet mais bien réel et perceptible.

Même situation, si, après avoir longuement réfléchi, vous ouvrez d'1 SA : il y a fort à parier que vous n'êtes pas vraiment 4-3-3-3. Vous auriez une vilaine mineure sixième que cela ne me surprendrait pas...

Essayez, si possible, d'être déjà prêt à enchérir à votre tour d'enchères, surtout si vous êtes en troisième ou quatrième. Si vous êtes en second, et que votre adversaire de droite a passé comme un " obus ", votre temps de réflexion, paraîtra plus " normal ", s'il reste raisonnable. Et, d'ailleurs, votre adversaire aura lui-même contrevenu aux lois en étant trop rapide.

Ne soyez pas distrait, soyez au jeu et ne soyez pas surpris quand vient votre tour d'enchère, votre intérêt pour la donne est tout aussi condamnable que l'excès inverse.

Le mal est fait, c'est trop tard, vous avez hésité, et longtemps, la situation était difficile, inhabituelle, pas prévue dans votre système et vous avez pris, tant bien que mal, la décision qui vous paraît la meilleure ou la moins mauvaise. Toute la table a perçu votre embarras, que va-t-il se passer ?

Plusieurs possibilités

  1. Vos adversaires appellent l'arbitre tout de suite (il ne vous appartient pas de le faire vous-même et encore moins à votre partenaire).
    L'arbitre constatera l'infraction, vous la fera reconnaître et fera continuer les enchères et le jeu, prenant acte des réserves de vos adversaires.
    Un conseil : à ce moment précis, ne cherchez surtout pas à justifier votre comportement, vous ne feriez qu'aggraver la situation et donner de nouvelles informations illicites.
     
  2. Vos adversaires n'appellent l'arbitre qu'à la fin de la donne. C'est LEUR DROIT ABSOLU.
    Vous ne pouvez pas le contester donc, pas de " c'est trop tard " ou de " vous auriez dû appeler à ce moment-là "
    Je dois dire, en tant qu'arbitre, que je préfère être appelé tout de suite, les faits sont, en général, plus faciles à établir. A la table on oublie vite avoir réfléchi anormalement, la longue hésitation devient facilement petite réflexion " D'une ou deux secondes, pas plus, le vous l'assure, M. l'arbitre, vous me connaissez, je suis de bonne foi ". Bien sûr, vous l'êtes, simplement le temps est une notion relative...

Par ailleurs, je ne crois pas avoir été appelé à une table pour une hésitation, alors qu'il ne s'était rien passé du tout. Même si l'hésitation n'est pas reconnue, voir niée farouchement, il est vraisemblable que quelque chose a eu lieu. Simplement, ce quelque chose a été perçu différemment.

 

" Arbitre ! C'est scandaleux, Monsieur reparle alors que son partenaire vient d'hésiter une heure ! "

Halte, il en a le droit !

Il n'est pas question d'empêcher un joueur de parler à son tour d'enchère sous prétexte que son partenaire a hésité ! Admettez-le une fois pour toutes, n'en soyez pas surpris ni offusqué, n'affichez pas pour autant un comportement méprisant ou soupçonneux à l'égard de votre adversaire, n'ayez pas cet air " outré " que je constate si souvent en arrivant à la table (pas la vôtre, bien sûr).

Remettez-vous-en, tranquillement, à l'arbitre. Celui-ci jugera de l'hésitation certes, mais surtout DE LA REACTION DU PARTENAIRE EN FONCTION DE SES CARTES.

Ou bien le partenaire du joueur qui a hésité a produit une enchère normale compte tenu de ses cartes, ou bien il a modifié sa décision en tenant compte de l'hésitation.

Dans le premier cas, rien à dire, et il vous faudra peut-être vous excuser de la vigueur de votre ton. Dans le deuxième cas, l'arbitre sanctionnera l'infraction selon la loi 16 A (particulièrement bien connue des commissions d'appel).

Exemple : mon partenaire a "frémi" sur votre ouverture de 1 , votre partenaire dit 1 et j'ai la main suivante :

x x
A D V 10 x x x x x
R D
-

Quel qu'ai été le comportement de mon partenaire, rien ne m'empêchera de dire 4 , et ce, quelle que soit la vulnérabilité. J'ai le droit (et le devoir) de le faire !

Inversement, mon partenaire a longuement hésité avant d'ouvrir de 1 et j'ai, supposons, trois points d'honneurs et deux cartes à Pique. Si je dis 1 SA, il est évident que mon enchère s'appuie sur sa réflexion, je crains qu'il ait une grosse main ou un très puissant bicolore.

Cette dernière attitude est contraire aux lois citées plus haut, elle sera sanctionnée selon le code.

Si votre partenaire hésite, faites votre enchère normale

C'est votre intérêt. D'abord c'est la loi, et ensuite je suis sûr que votre sens de l'éthique vous interdit tout autre comportement. Par ailleurs, votre éventuelle infraction serait très sévèrement sanctionnée.

Loi 16 - Information illicite.
A 2 " Quand une alternative illégale est choisie, l'arbitre exigera que les annonces et le jeu continuent, se tenant prêt à attribuer une marque ajustée s'il considère que l'infraction à la Loi a causé un dommage ".

Loi 12
C 1 et C 2 - " Quand l'arbitre attribue une marque ajustée de remplacement, à la place d'un résultat obtenu effectivement après une irrégularité, la marque est : pour le, camp non fautif, LE RESULTAT LE PLUS FAVORABLE qu'il aurait pu vraisemblablement obtenir si l'irrégularité n'avait pas eu lieu, ou, pour le camp fautif, LE RESULTAT LE PLUS DEFAVORABLE LE PLUS PROBABLE ".

Comme vous le voyez, la loi est très sévère ; par exemple, en m'appuyant sur le terme " vraisemblable ", je pourrais faire scorer à vos adversaires une manche qu'ils n'auraient peut-être pas trouvée. Ou encore, par exemple, dans le cas où vous auriez surenchéri sur 1 , je vous interdirais de jouer 4 si vous les avez gagnés, et vous les ferais jouer si vous les avez chutés. Je choisirais le résultat le plus favorable à vos adversaires.

Malheureusement (pour l'arbitre) les cas d'hésitation ne sont pas toujours aussi clairs, ni les situations aussi simples.

Examinons, par exemple, le cas suivant.

Tournoi par paires.
EO vulnérables.
R 10 x x
D V
10 x x x x
x x
x x x
10 9 8 x
A x x
R V x

N

O             E

S

x
A R x x x
R x
A x x x x
A D V x x
x x
D V x
D x x

Les enchères :

Nord Est Sud Ouest
1 passe 2 3
3 passe * passe 4
passe 4

* Passe après hésitation.

Nord-Sud appellent l'arbitre, lors de l'enchère de 4 d'Est, indiquant que Ouest a hésité sur 3 de Sud (enchère courageuse !). Ouest jure ne pas avoir hésité, prend très mal les réserves des adversaires, considère que son honnêteté est mise en doute, etc. L'arbitre fait continuer les enchères et Est, le déclarant, réalise tranquillement douze levées. La vue du mort n'a pas calmé les esprits.

Qu'en pensez-vous ? Vous auriez dit 4 sur 3 ? Moi aussi, mais le problème n'est pas là. Ouest jure qu'il n'a pas hésité et Nord-Sud affirment le contraire. Le déclarant, lui, n'a rien remarqué.

D'abord, il serait surprenant que Nord-Sud appellent au moment de l'enchère de 4 si rien ne s'était passé. D'autre part, le passe d'Ouest est surprenant en face de l'enchère de 3 vulnérable, " en sandwich ", faite par un partenaire qui n'a pas passé d'entrée. A supposer que l'on passe, est-ce possible dans la foulée ?

Y a-t-il eu infraction ? Variation de tempo ? Malgré les dires d'Ouest, dont l'honorabilité n'est pas en cause, c'est très vraisemblable !

Ensuite, l'enchère d'Est est-elle évidente ?

Est aurait-il toujours dit 4 , vulnérable qui plus est ? L'arbitrage fut de ramener le contrat à 3 , non contré. La commission d'appel ne fut pas saisie, car l'appel fut formulé hors délais. La paire Est-Ouest fut fort mécontente et ne le cacha pas...

Pour en finir avec les hésitations et avec cet article notez en résumé :

  1. Il n'est pas interdit de réfléchir.
  2. Enchérissez ou jouez comme vous l'auriez fait normalement.
  3. Attendez-vous, dans le cas contraire, à être sanctionné.
  4. Respectez les cartons " stop ".
  5. Rappelez-vous que pour avoir droit à un redressement, il faut avoir subi un dommage.   
  6. Souvenez-vous qu'hésiter n'arrive pas qu'aux autres...

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