ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Philippe LORMANT - Bridgeur n° 715 - 15 février 1999

Le Code 1997 - Il faut de tout pour faire un code


Philippe Lormant, arbitre national,
directeur national de l'arbitrage
 


"Si la Loi s'applique à tous, elle doit être accessible à chacun"

Pêle-mêle, sans ordre préférentiel, voici aujourd'hui quelques dispositions nouvelles relevées dans la livraison du code 97 et applicables en France depuis le début de la saison. Certaines, d'apparence anodine, peuvent toutefois modifier un arbitrage, une procédure, les droits ou obligations des joueurs. Si vous êtes arbitre, vous les connaissez déjà, mais tout joueur peut avoir intérêt à en prendre connaissance, d'autant que parfois de fausses interprétations circulent d'une table à l'autre. Pas de panique, l'essentiel est inchangé, on joue toujours en respectant le sens de rotation des aiguilles d'une montre et, même calculé en euros, le nombre de levées de transfert pour une renonce n'est pas modifié !
 

Le mort : Il gigote encore, mais attention !

Avant même la parution du nouveau texte, un faux bruit circulait: "maintenant, le mort peut, pendant le jeu, signaler une renonce et appeler l'arbitre".

Non !

Le code 87 précisait "le mort ne devrait pas déclencher un appel à l'arbitre durant le jeu", et la seule modification à retenir est que le nouveau texte stipule "sauf si un joueur a déjà attiré l'attention sur une irrégularité, le mort ne devrait pas déclencher un appel à l'arbitre durant le jeu". Le point suivant de la loi souligne toujours que "le mort n'est pas autorisé à attirer l'attention sur une irrégularité durant le jeu". C'est évidemment le plus important. Ne vous laissez donc pas abuser. Il m'a fallu, code en main, déployer récemment beaucoup de conviction pour faire admettre à un joueur qui était le mort, qu'il n'aurait pas dû être le premier à signaler une attaque hors tour de la défense. "Maintenant j'ai le droit, on me l'a dit", ce "on" jouissait manifestement d'une grande autorité. Une telle erreur peut entraîner une pénalité voire la perte du droit de pénaliser le camp fautif, le succès d'un contrat peut en dépendre.

Conseil :

Si vous êtes le mort, attendez la fin du jeu pour mentionner une irrégularité (renonce par exemple) que vous auriez pu remarquer.
En revanche, si une irrégularité a été signalée, vous pouvez désormais prendre l'initiative d'appeler l'arbitre.

Armes conventionnelles ou non : alerte !

Les joueurs s'équipent de tout un arsenal de conventions (j'allais dire armes) ou de séquences inusuelles. Le législateur a beaucoup hésité, pendant la période de gestation du code, pour définir ce qu'est une convention. Avant d'établir le texte définitif, il a revu quatre ou cinq fois sa copie. L'actuelle rédaction est discutable, mais il faut reconnaître que la tâche est bien ardue et que sans doute aucune définition ne saurait être universellement irréprochable.

Sans entrer dans un débat qui serait sans doute trop technique, mais pour vous donner un aperçu de cette difficulté, le texte actuel analysé stricto sensu ne classerait pas comme une convention, au sens restrictif du code, un agrément qui stipulerait que l'ouverture d'1 par exemple, ne promet que l'As de Pique (même singleton !).

En revanche, il est clair que le caractère conventionnel ou non d'une déclaration est indépendant de la notion de force (voire de la notion de forcing). Ainsi les ouvertures de 2 faible ou fort, d'1 SA, 10-12 ou 12-14 ou 16-18 H ne sont pas conventionnelles - au sens du code - si le 2 promet du Pique et les 1 SA une main régulière.

Ces précisions ne concernent guère que les arbitres qui auront à en tenir compte dans le traitement de certaines irrégularités (enchère insuffisante par exemple). L'erreur à ne pas commettre est de penser qu'une déclaration non définie par le code comme une convention, n'a pas besoin d'être alertée.

Devant une commission d'appel, j'ai entendu un joueur classé en 1ère série nationale se défendre en disant "mais je n'ai pas alerté la réponse de 2 puisque c'est du Trèfle. C'est vrai qu'avec ma partenaire nous le jouons faible et non forcing, mais "on" (encore lui !) m'a dit que la force n'entrait pas en ligne de compte pour déclencher l'alerte". De même, j'ai lu dans ce journal, en réponse à une question d'un lecteur "Alertez tout ce qui est conventionnel". C'est juste mais bien incomplet.

  • Ne confondez pas "déclaration conventionnelle", au sens du nouveau code et "déclaration alertable".
     
  • La notion de déclaration conventionnelle n'est à retenir que pour l'arbitrage.
    Est et reste alertable : toute déclaration qui a fait l'objet d'un agrément avec le partenaire et dont le sens pourrait raisonnablement ne pas être compris par l'adversaire.
     
  • L'alerte est un problème d'éthique. Dans la très grande majorité des cas, un joueur sait pertinemment quand son partenaire (ou lui) peut, par agrérnent, comprendre ou savoir quelque chose que raisonnablement l'adversaire peut ne pas comprendre.

Quand on aime, on ne compte pas !

Les bridgeurs doivent être de grands amoureux, car les appels pour "12-14" voire "13-15" ne sont pas rares. J'entends par là que les annonces ou le jeu ayant déjà commencé à la table, on requiert l'arbitre parce que l'on réalise que deux joueurs au moins ne possédaient pas à l'origine 13 cartes.

Ce point concerne essentiellement les arbitres, car c'est la procédure à suivre qui a été modifiée dans un tel cas. L'intention manifeste et louable du législateur étant de permettre qu'une donne soit jouée, lorsque manifestement l'irrégularité peut être corrigée, sans fausser les annonces ou le jeu.

Sud donneur.

R 7 (2)
6 2
A R V 5 4 (2)
(V) 6 2

N

O             E

S

A D 6 3
R D 7
D 10
R 5 3

Avant application du code 97, dès que Sud (12 cartes) avait déclaré, la donne n'était pas jouée. L'arbitre attribuait une marque ajustée artificielle. Cette règle s'appliquait même si Sud, avec 12 cartes et par exemple 4 H, passait.

Le nouveau texte est plus nuancé et bien souvent la donne pourra être jouée. A l'aide du diagramme par exemple, l'arbitre recherchera la carte déplacée et :

- s'il estime qu'après correction de l'irrégularité, la donne peut être jouée normalement sans changement de déclaration, il en informera les joueurs,

- à condition qu'ils soient tous d'accord, le jeu pourra se poursuivre et le résultat obtenu sera entériné.

Arbitres, soyez prudents ! S'il est louable d'essayer de "sauver" une donne, vous ne devez pas prendre de risque et si vous avez un doute sur l'information que pourrait véhiculer le transfert d'une carte, attribuez sur-le-champ une marque ajustée artificielle. Les joueurs ne peuvent s'y opposer et si l'un d'entre eux maugrée (cela arrive), il contestera bien plus violemment si vous vous êtes trompé dans votre jugement.

Dans le diagramme ci-dessus, Sud (12 cartes) a ouvert d'1 SA (15 1/2 - 17 1/2) et Ouest, qui a regardé son jeu, s'esclaffe avant de déclarer "mais j'ai 14 cartes".

1er cas : C'est le 2 de Pique qui a été déplacé de Sud en Ouest.

Vous déciderez que la donne est injouable car l'ouverture de Sud pourrait être modifiée (même Si Sud prétend que ça lui arrive parfois d'ouvrir d'1 SA avec une majeure cinquième).
40 % aux deux paires.

2ème cas : C'est le Valet de Trèfle qui a été déplacé de Sud en Ouest.

ldem. Il est exact que l'ouverture de Sud ne serait pas modifiée (1 SA) mais la connaissance par Ouest de cet honneur en Sud peut avoir trop de conséquences dans le jeu.
40%-40%.

3ème cas : C'est le 2 de Carreau qui a été déplacé de Sud en Ouest.

L'ouverture ne sera pas modifiée.
On peut présumer que la connaissance du 2 de Carreau en Sud sera sans influence sur le jeu d'Ouest. Encore que... Imaginez que Sud négocie le contrat de 4 Cœurs et que sur entame de l'As de Carreau, le mort expose 8 7 6 5 dans cette couleur Est fournira le 3 et même si Sud fournit le 10, le singleton d'Est sera connu dès la première levée. Il est probable qu'ici cette connaissance sera sans influence, mais cet exemple vous montre à quel point il peut être délicat d'apprécier, alors même que l'on ignore encore quel contrat sera joué, si la connaissance d'une petite carte peut avoir des conséquences sur le jeu.

On comprend et on approuve l'intention du législateur qui a voulu, qu'autant que faire se peut, une donne ne soit pas annulée. Mais votre tâche d'arbitre n'en sera pas facilitée. Je termine sur un conseil personnel, conforté toutefois par des discussions avec des collègues. Rien ne vous oblige à en tenir compte, je vous livre là, non la loi, mais mon sentiment.

 

  • En tournoi par paires, ne prenez aucun risque. 40 %, ce n'est pas un drame. Les joueurs sont fautifs, ils devaient compter leurs cartes et comme vous êtes dans l'obligation de prendre une décision sur-le-champ, le risque d'erreur est trop important.
     
  • En match par 4, le problème est différent. L'étui ayant déjà été joué dans l'autre salle (sinon c'est une fausse donne), vous allez annuler un résultat déjà obtenu. C'est beaucoup plus grave. N'oubliez pas aussi que vous disposez de beaucoup plus de temps pour faire votre analyse. Dites aux joueurs de jouer l'étui suivant, étudiez votre diagramme tranquillement avant de prendre une décision. Faites jouer si le risque est raisonnable.
     
  • Un dernier point : si vous informez les joueurs que la donne est jouable après correction et que ceux-ci acceptent de la jouer, peut-il y avoir appel s'il apparaît que l'information a favorisé un camp ?
     
    Ma réponse est oui. Le code dit que vous deviez "estimer", donc on fait appel à votre jugement, votre pouvoir discrétionnaire. Pour ma part, incontestablement, l'appel est recevable et c'est tant mieux. La commission d'appel n'est pas seulement une protection pour les joueurs, elle l'est surtout pour l'arbitre qui a la responsabilité de prendre, parfois bien rapidement, des décisions délicates.

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