ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Philippe LORMANT - Bridgeur n° 690 - 15 novembre 1996

Tête à tête avec Philippe Lormant


Philippe Lormant, arbitre national, directeur national de l'arbitrage
 


A propos d'"à propos"

Nos lecteurs ont lu avec intérêt, les conseils de Philippe Lormant, "A propos de l'utilisation des écrans", dans "Le Bridgeur" du 15 septembre. L'article leur a inspiré réflexions, commentaires et interrogations. Nous en avons profité pour poser dix questions supplémentaires au directeur national de l'arbitrage.
 

Question 1 : Les mots "déclaration", "enchère" et "annonce" sont alternativement utilisés. Ont-ils la même signification ? Sinon, quelle est la différence ?

Philippe Lormant : C'est bien connu : un mot peut en cacher un autre et l'usage qui, en linguistique, reste la référence, peut toutefois être pris en défaut. C'est bien à tort que l'on parle parfois d'ENCHERE alors que, techniquement, on devrait utiliser DECLARATION.

ENCHERE : Engagement de gagner au moins un nombre déterminé de levées dans une dénomination donnée. Ex : 1 Pique, 3 Sans-Atout ...
On voit donc que contre, surcontre et passe ne sont pas des enchères.

DECLARATION : Si l'on veut bien ignorer les domaines fiscal ou oaristyque (1), c'est l'ensemble des enchères telles que définies ci-dessus et contre, surcontre et passe.
Notez que l'alerte et le stop ne sont pas des déclarations. Si l'on veut considérer les annonces comme un langage, je dirais que ce sont des signes diacritiques !

ANNONCE : C'est le plus souvent la procédure ou la période ou la période pendant laquelle on détermine le contrat final à l'aide de déclarations successives. C'est aussi l'ensemble des déclarations faites.
Vous remarquerez que c'est donc à tort que l'on parle des boîtes à enchères. On devrait dire boîtes à annonces, c'est-à-dire boîte dont on utilise le contenu pendant la période des annonces.
De même, c'est à tort que certains joueurs (certains arbitres parfois...) disent qu'ils "sont privés d'enchères" à la suite, par exemple, d'une enchère illégale du partenaire. Si tel était le cas, ils auraient le droit de contrer ou de surcontrer. En fait ils sont "dans l'obligation de passer", seule formulation correcte et que l'arbitre se doit d'utiliser.

(1) NDLR : Faut-il rappeler que Philippe Lormant a été président de la Fédération française de Scrabble ? L'adjectif, qui ne figure pas dans le Larousse, est un dérivé d"'oaristys" (nom féminin), dont chacun sait qu'il signifie "conversation tendre, idylle".

Question 2 : Une déclaration n'est-elle pas "intentionnelle" par définition ? Ne conviendrait-il pas plutôt de parler d'une "déclaration erronée" pour celle qui résulterait, soit d'un oubli d'une convention, soit d'une erreur de saisie d'un carton?

Question 3 : On n'a pas le droit de changer une "déclaration intentionnelle", mais on se doit de corriger une "enchère illégale". Mais que se passe-t-il en cas de "déclaration intentionnelle illégale" (ou illégale intentionnelle), Si tant est que cela puisse exister?

Question 4 :

a)  
Sud Ouest Nord Est
passe passe 1 2
2
b)  
Sud Ouest Nord Est
passe passe 1 1
2

Sud n'a pas vu l'enchère d'Est et 2 était donc un Drury. Comment arbitre-t-on chacun des cas, quand Sud s'aperçoit de son erreur ?

Philippe Lormant : Que nenni ! Une déclaration peut n'être pas "intentionnelle". Elle peut, le Code le dit, être inadvertante. C'est à dire qu'il y a "défaut total d'intention".

Dans la pratique, l'inadvertance (à distinguer de l'inattention) se définit par faute matérielle. Voulant happer le carton 1 dans la boîte à annonces, vous extirpez le carton collé 1 , un maladroit ayant précédemment confondu la boîte avec le verre où verser son coca. Vous n'avez jamais eu l'intention d'exhiber 1  : INADVERTANCE, au sens du Code, donc déclaration non intentionnelle.

En revanche vous intervenez en deuxième position par 2 sur l'ouverture de 1 SA de votre adversaire de droite et même sans pause, sans réfléchir, vous corrigez par 2 car vous venez de vous souvenir que votre partenaire vous a demandé d'intervenir en Texas. Quand vous avez exposé 2 c'est bien ce carton que vous vouliez saisir : l'intention est établie, fut-elle fugace.

Dans votre exemple que j'analyse sans écran :

Sud Ouest Nord Est
passe passe 1 1
2

Sud n'a pas vu l'enchère de 1 . Qu'y pouvons-nous ? C'est de l'inattention non de l'inadvertance, le carton de 2 était bien celui qu'il voulait exposer au moment où il l'a montré. Déclaration intentionnelle donc.

En annonce orale, l'inadvertance c'est le lapsus (s'entendre dire un mot que l'on n'avait pas l'intention de prononcer, par exemple appeler sa femme du nom de sa meilleure amie...).

Enfin, dès lors qu'elle est inadvertante et que l'on tente de la corriger sans pause pour réfléchir, une déclaration inadvertante peut être corrigée qu'elle soit ou non légale.

Question 5 : Avec les écrans, une "enchère illégale" peut-elle être autre chose qu'une "enchère insuffisante" ?

Philippe Lormant : Bien sûr, par exemple une enchère hors-tour ou un contre impossible, etc...

Question 6 :

Sud Ouest
1 SA 2

Ouest s'aperçoit, ayant à peine lâché son carton, qu'il a commis une "faute de doigt", ayant pris malencontreusement le carton de 2 a la place de celui de 2 . Peut-il le reprendre "dans la foulée" ? A quel moment précis l'enchère est-elle définitive ?

Philippe Lormant : Vous parlez de "faute de doigt", donc erreur matérielle, absence totale d'intention. Le Code ne prévoit pas de limite dans le temps pour corriger l'inadvertance. C'est une lacune incontestable, un véritable casse-tête pour les arbitres. La FFB a attiré récemment l'attention des Commissions des lois européennes et mondiales sur ce point et demandé que la prochaine édition du Code International comble ce vide juridique.

 
 
 
Voilà qui est enfin corrigé depuis le nouveau code 97, Loi 25 :

 
  1. Correction immédiate d'une déclaration faite par inadvertance

Un joueur peut remplacer une déclaration faite par inadvertance par une déclaration intentionnelle :
- si son partenaire n'a pas fait une déclaration ultérieure,
- s'il le fait ou tente de le faire sans pause pour réfléchir.
Si elle est légale, sa dernière déclaration est maintenue sans pénalité ; si elle est illégale, elle est soumise à la Loi adéquate.

  1. Correction différée ou réfléchie

Jusqu'à ce que le joueur de gauche déclare, une déclaration peut être changée même quand A. ci-dessus ne s'applique pas.

Ainsi

Sud Ouest Nord Est
4 passe

et Sud, qui voulait et croyait avoir mis 4 , constate son erreur matérielle. Si l'arbitre, après enquête, a l'intime conviction qu'il s'agit bien d'une erreur matérielle, il pourra autoriser Sud à corriger son enchère sans aucune pénalité. Bien entendu, Ouest pourra alors changer sa déclaration.

Au Festival des Dryades, j'ai récemment rencontré le cas suivant (sans écran) :

Sud Ouest Nord Est
1 passe 1 SA

A ce moment là, Est sort un carton pour déclarer mais Nord s'exclame aussitôt : "Je me suis trompé de carton. Arbitre !" A tort ou à raison (problème d'intime conviction), j'ai cru à la sincérité de Nord et autorisé le changement de déclaration. Décision prise sans regarder le jeu de Nord pour éviter de donner une information à la table et afin que ni le partenaire, ni la paire adverse ne puissent en tirer des inférences utiles pour le premier, fausses peut-être pour la dernière.

On peut discuter du bien fondé de cette loi, on ne peut ignorer qu'elle existe et qu'au demeurant elle n'est pas d'application aisée pour les arbitres.

Face à l'insuffisance du code, nous sommes convenus, en France, de ne plus autoriser une correction pour inadvertance quand le partenaire a déclaré consécutivement (sans écran).

exemple :

Sud Ouest Nord Est
4 passe 6

Nord (le partenaire) a déclaré. Trop tard pour corriger.

Mais il ne s'agit là que d'une recommandation faite aux arbitres.
A noter toutefois que la fédération hollandaise a pris la même position.
Avec écran, on considère que lorsque le chariot a été transmis de l'autre côté, il est trop tard pour retenir l'inadvertance, mais aucun texte, pour l'instant, n'officialise ce consensus.

Question 7 :

Sud Ouest Nord Est
1 3 2 3

La séquence est-elle acceptable quand le chariot revient en Sud ?

Philippe Lormant : Si le chariot n'a pas été transmis, on annulera 2 et 3 , Nord et Est reprenant leur déclaration sans pénalité.
Si le chariot a été transmis, on considère, pour l'instant, que l'enchère illégale de Nord a été entérinée et l'on continue la séquence.

Question 8 : "Le guichet doit être relevé par un joueur du camp de la défense". C'est nouveau. Mais n'aurait-il pas été plus juste (et plus simple) de préciser "... par le joueur qui doit entamer" ?

A ce propos, une autre question. Certains, après avoir entamé, frappent au guichet pour transférer la demande d'ouverture de l'autre côté de l'écran, par crainte, sans doute, d'éviter une entame hors-tour - on est jamais assez prudent ! Est-ce une pratique normale ?

Philippe Lormant : Exact, pour le premier point : ça vient de sortir ! Sur une proposition américaine, à mon sens judicieuse, et immédiatement adoptée en France.
Pour le deuxième point : votre proposition amènerait à considérer que si le partenaire de l'entameur levait le guichet, il serait fautif. Quel intérêt ?
Votre proposition peut être un conseil au joueur, non un règlement, me semble-t-il.
Rien d'anormal à la procédure de solliciter le "lever de rideau" en frappant préalablement les "trois coups du brigadier".

Question 9 : N'est-il pas préférable d'entamer carte retournée, en relevant le guichet ?

Philippe Lormant : Si.

Question 10 : Déclarant ou défenseurs peuvent-ils redemander la séquence d'enchères, une fois les cartons ôtés du chariot ? Et pendant le coup ?

Philippe Lormant : Tant que le guichet n'est pas levé : oui.
Quand le guichet est levé : oui, tant que l'entame reste face cachée et ensuite, à son premier tour d'attaquer. Le mort n'a pas ces droits.

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