ARBITRAGE

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Rubrique des Arbitres

 


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Rubriques de Philippe LORMANT - Bridgeur n° 629 - 15 avril 1991

Carte sur table - Carte jouée


Philippe Lormant, arbitre national,
directeur national de l'arbitrage
 


"Si la loi s'applique à tous, elle doit être accessible à chacun"

La présente rubrique n'est pas à proprement parler, une rubrique d'arbitrage, nous n'y abordons pas les cas complexes d'application des lois. Nous avons demandé à Philippe Lormant, lauréat du concours d'arbitrage, de donner aux joueurs quelques conseils quand ils se trouvent confrontés à certaines situations. En particulier, si vous débutez dans la compétition, vous avez intérêt à connaître certaines dispositions du Code, pour ne pas perdre, "sur le tapis vert", des levées que vous auriez gagnées à la table.
 

Carte sur table

Titre trompeur, car l'important n'est pas forcément qu'une carte soit ou non sur table ; titre brûlant, toutefois, car voilà un sujet où les altercations entre joueurs sont nombreuses, où les décisions de l'arbitre sont contestées. Ces poussées d'adrénaline n'ont - comme bien souvent - qu'une explication : l'ignorance, ou pire, de fausses croyances.

Faisons le ménage, et oublions ces petites phrases toutes faites qui résonnent comme des aphorismes

Carte sur table, carte jouée... c 'est FAUX (enfin, parfois faux).
Carte non posée, carte non jouée... c 'est FAUX.
Ou encore, reprenant pourtant une expression utilisée par le code : on peut corriger à condition qu'on le fasse sans pause pour réfléchir, ce qui n'est que... parfois vrai.

Laissez donc ces dictons de salon, avec votre chapeau et vos gants, à la dame du vestiaire et voyons ce qu'il en est.
Une carte jouée ne peut être reprise que si l'arbitre vous y autorise. Il s'agit de cas très particuliers (erreur d'explication par exemple). Ce n'est pas mon propos.
Dès lors, il suffit de savoir quand une carte est jouée. Elémentaire ? Voire...

Carte jouée

Beaucoup l'ignorent, mais il faut distinguer trois cas, car la définition de la carte jouée est différente selon qu'il s'agit d'une carte du déclarant, du mort ou du flanc.

  1. Carte jouée du déclarant
     

Une carte du déclarant est jouée (jeu obligatoire donc), dès qu'elle est tenue face en l'air, touchant ou presque la table, ou dès qu'elle est tenue de telle façon qu'elle indique avoir été jouée. Peu importe donc qu'elle soit ou non posée sur la table. Dès que vous l'avez volontairement détachée de votre jeu, la montrant volontairement face visible, elle est jouée.

L'important est :
  1. Votre intention
  2. Le fait de la montrer face visible

En revanche, des cartes tombées accidentellement, même face visible, sur la table, ne sont pas jouées. Si la maladresse est établie (le code parle d'inadvertance) l'arbitre vous permettra de reprendre votre carte. Comme vous êtes déclarant, il n'y aura aucune pénalité.

  1. Carte jouée de la défense
     

Ici, le code ne parle même pas de la table, ce qui me conforte dans l'idée qu'a priori ce sont les joueurs et non... la table qui jouent au bridge

En flanc, une carte est jouée dès qu'elle est tenue de façon qu'il soit possible au partenaire d'en voir la face. Il ne l'a pas vue ? Qu'importe, Si vous la teniez de telle façon qu'il aurait pu la voir. Claude Michaud, qui a fait une exégèse remarquable de tout le code, a trouvé, là encore, le mot juste quand il enseigne: "C'est l'angle (sous-entendu formé par le plan de la carte et celui de la table) qui est déterminant".

Cette fois, vous laisserez vos regimbes au vestiaire (avec votre manteau et votre gilet) Si vous avez volontairement détaché une carte de votre jeu en l'inclinant de telle façon que votre partenaire aurait pu la voir, même Si elle est loin de la table.

  1. Carte jouée du mort
     

A la différence des autres mains, les cartes du mort se jouent en les désignant. Toutefois si vous touchez délibérément une carte, elle est jouée (à l'exception du cas où il est clairement établi que vous vouliez simplement ranger les cartes du mort).

Une carte désignée est donc une carte jouée mais la loi prévoit le cas du lapsus, de l'inadvertance. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, l'arbitre peut vous autoriser à changer de désignation à la condition, en sus, que ce soit sans pause de réflexion. Mais, là encore, c'est l'intention qui est primordiale.

Voici un cas limite mais, pourtant, non ambigu Sud joue 3 SA sur l'entame du Roi de Pique.

A 2
R 6 3
A D 4 3
A R 6 2
N

O             E

S
6 5 4
A 9 8
6 5 2
D V 7 3

Même pour Pierre Schemeil, ce diagramme ne saurait inspirer deux pages d'analyse... L'As de Pique ayant sauté, vous allez vous résoudre à tenter l'impasse à Carreau à un moment ou à un autre.

Le 2 de Carreau de votre main, donc, le Roi en Ouest et vous dites... "la Dame". Puis, sans pause de réflexion "l'As alors !" (vous venez, bien sûr, de voir le Roi).

Désolé, le code n'est pas là pour réparer vos erreurs d'inattention.

En voyant le Roi vous avez changé d'intention, ce n'est ni un lapsus ni de l'inadvertance, votre intention initiale était bien d'appeler la Dame : elle est jouée.

Avec votre chemise et vos chaussures, vous laisserez cette fois vos jérémiades au vestiaire.

Précisions sur l'appel de la carte du mort
 

- Si vous appelez une carte du mort en ne nommant qu'une couleur, Pique ou Cœur par exemple, c'est la plus petite carte du mort dans cette couleur que vous avez jouée.
 

- Si, en attaquant du mort, vous dites seulement "la Dame" ou "le Roi", par exemple, vous êtes supposé continuer la couleur jouée à la levée précédente si cette carte existe au mort. A défaut, le mort jouera une carte du rang désigné (Dame ou Roi) mais, s'il a le choix, vous êtes dans l'obligation de préciser. En aucun cas il ne peut choisir lui-même.
 

- Enfin, avant de dire au mort de jouer "n'importe quoi" ou "ce qu'il veut", réfléchissez à deux fois car, le mort n'ayant pas le droit de choisir, n'importe lequel de vos adversaires aura le droit de désigner la carte à fournir.

Vous laisserez alors vos illusions au vestiaire avec, par exemple, votre cravate et votre ceinture.

Il me faut bien arrêter là, la commission de discipline me menaçant de ses foudres pour "tenue de table contraire aux bonnes mœurs et à l'ordre public"... si je poursuis plus avant.

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